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Dessin de tracé de fleuve

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Quand la mer monte

Mots clés : Basse Saâne 2050, relocalisation du camping communal, remise en état naturel du site, construction d'une STEP et reconnexion du cours d'eau à la mer
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QUAND LA MER MONTE
Pour la première fois en France, un camping menacé par le recul du trait de côte est déplacé


Il s’agit d’une première en France : la relocalisation d’un camping pour cause de risque de submersion. Le projet conduit en Seine-Maritime au bénéfice de la basse vallée de la Saâne a englobé trois grands chantiers : la relocalisation du camping et la renaturation du site (en cours) ; la construction d’une station d’épuration et de son réseau (achevée) ; enfin, à venir, la reconnexion du cours d’eau à la mer. Une expérience riche d’enseignements.

Martine LE BEC
illustrations Conservatoire du littoral
ouverture – les plages de Quiberville-sur-Mer et Sainte-Marguerite-sur-Mer avec,
en arrière-plan, 
le "blockhaus tombé" de la falaise, photo MLB
H2o – septembre 2024

 

26 décembre 1999, la tempête Lothar frappait la moitié nord de la France, et alors que les journaux télévisés diffusaient les premières images, c’était le lendemain au tour de la moitié sud de se faire percuter par Martin. Cette concomitance de deux tempêtes successives d'une violence inédite leur a valu l'appellation de "tempêtes du siècle". Il s'agit de la catastrophe naturelle la plus meurtrière et la plus coûteuse en France métropolitaine. À Quiberville-sur-Mer, en Seine-Maritime, pas de pertes humaines mais les 140 caravanes et mobil-homes qui hibernaient au camping municipal se retrouvèrent dans 1,80 mètre d’eau. Le site à peine déblayé était une nouvelle fois les pieds dans l’eau dès le printemps suivant.

"Il y a en Seine-Maritime toute une série de vallées comme celle de la Saâne, perpendiculaires au rivage, et qui constituent le seul lien entre la mer et l'intérieur des terres. C'est la raison pour laquelle les populations s’y sont implantées", explique Stéphane Costa, enseignant-chercheur en géographie à l’Université de Caen, et grand expert du recul du trait de côte. Mais ces basses vallées catalysent aussi tous les problèmes hydrologiques : débordements du cours d'eau, ruissellements, remontées de nappe, auxquelles viennent s'ajouter, lors d'épisodes de tempête, les franchissements par la mer. La basse vallée de la Saâne est particulièrement sensible au phénomène parce qu'avec la digue et la route on a bloqué l'adaptation du cordon de galets qui devrait pouvoir rouler sur lui-même. On constate dès lors un amincissement progressif de ce cordon sur certains secteurs, et donc un affaiblissement de cette protection naturelle. "La vallée se trouve finalement prise entre deux ondes : l'onde continentale et l'onde marine."

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Vue générale de la basse vallée de la Saâne en novembre 2021, avec, au premier plan, la buse de la Saâne (dont la première construction remonte à 1864), le perré (1914), les épis (dont le premier avait été réalisé dès la fin du XIXe siècle en charpente) et la route littorale (1950). Au second plan : le camping municipal de Quiberville-sur-Mer (1963, déplacé l’an passé) et en bordure gauche les premiers bungalows aussi apparus dès cette époque sur la commune de Saint-Marguerite-sur-Mer. En arrière-plan : une vue d’ensemble de la vallée, avec sur son versant gauche (donc à droite sur la vue) l’emplacement du nouveau camping et, en fond de vallée, la commune de Longueil – Photo Frédéric Larrey, Conservatoire du littoral

 

Le Syndicat mixte des bassins Saâne Vienne et Scie et l’Agence de l’eau Seine-Normandie planchaient dès 2005 sur un projet de ré-estuarisation de la vallée. Ce premier projet fut conjointement rejeté par les trois communes de la vallée : Quiberville-sur-Mer, Sainte-Marguerite-sur-Mer et Longueil. Non pas que leurs populations ne voyaient pas le danger de la mer qui monte : "Ici, les gens voient clairement le changement climatique qui est à l’œuvre", explique Véronique Depreux, maire de Saint-Marguerite-sur-Mer, cette commune même rendue célèbre par son blockhaus tombé (volontairement, par précaution) depuis la falaise, c’est simplement que les esprits refusaient peut-être encore d’admettre la réalité des choses. Début des années 2010 cependant, le projet franco-anglais LiCCo (Littoraux et Changements Côtiers – Living with a Changing Coast), qui englobait 9 territoires littoraux en Normandie et en Angleterre, a permis aux acteurs de "dézoomer" et de placer la question hydraulique des crues et submersions dans une thématique territoriale plus large, prenant notamment en compte les enjeux économiques. Le Conservatoire du littoral était désigné pour porter le projet. Trois axes de travail étaient définis : 1. Les risques (d’inondation, de submersion, d’érosion…) ; 2. Les enjeux économiques (avec, en particulier, le devenir du camping de Quiberville-sur-Mer) ; 3. Les enjeux liés aux écosystèmes et à la biodiversité.

"LiCCO ne nous a pas fourni de solutions concrètes, mais il nous a apporté de la connaissance, de la mise en perspective, et il nous a donné le temps et le recul nécessaire pour renouer des liens deconfiance", déclare Didier Ledrait, maire de Longueil.  

Par ailleurs, les échanges conduisirent les autorités britanniques à proposer à leurs partenaires français de candidater pour le un programme européen Interreg pour financer les deux projets de territoire de la basse vallée de l’Otter dans le Devon et de la basse vallée de la Saâne. Il s’agit du projet PACCo (Promouvoir l’adaptation aux changements Côtiers – Promoting Adaptation to Changing Coasts). Une première fois rejeté par la Commission européenne en avril 2019, le dossier était finalement validé dans une seconde version le 28 janvier 2020… trois jours avant la mise en œuvre du Brexit (les Anglais devaient déjà sentir le souffle du couperet). Les deux pilotes : Lower Otter Restoration Projet et Basse Saâne 2050, allaient enfin voir le jour.

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Les tracés actuel et futur de la Saâne – doc. Conservatoire du littoral, photo Frédéric Larrey

 

20 ans, cela paraît long. Mais le délai est à mettre en rapport avec l’ampleur et le coût du projet. Y figurent : la relocalisation du camping de Quiberville pour un peu plus de 8,6 millions d’euros (pour une commune disposant d’un budget annuel de 600 000 euros) ; la connexion de la Saâne à la mer pour un peu plus de 2,1 millions d’euros ; la station d’épuration et les réseaux de Longueil (puisque la commune n’en disposait pas, faisant que les plages de Quiberville et de Sainte-Marguerite se retrouvaient fréquemment impropres à la baignade), ceci donc pour un peu plus de 11,1 millions d’euros. Au total, tous les un-peu-plus-de mis bout à bout, le projet s’élève à un-peu-plus-de 22,8 millions d’euros. En face, viennent les financements (en arrondis) de : PACCo Interreg France-Angleterre (9,3 millions d’euros), Agence de l’eau Seine-Normandie (7,1 millions d’euros), Région Normandie (707 000 euros) Département de Seine-Maritime (1,5 million d’euros), Communauté de communes Terroir de Caux (2,5 millions d’euros), Commune de Quiberville-sur-Mer (1,3 million d’euros), Syndicat mixte des bassins versants Saâne Vienne Scie (145 000 euros) et Conservatoire du littoral (228 000 euros).

Au passage, précisons que les financements Interreg PACCo ont permis à la Communauté de communes Terroir de Caux de porter un programme d’assainissement de grande ampleur incluant la STEP de 4 300 équivalents-habitants, les raccordements de 8 communes et la suppression de 6 petits équipements non conformes, le tout pour un montant de 24 millions d’euros. 

Le projet PACCo marque surtout une approche nouvelle : on change de modèle pour une adaptation permanente. 

Au final néanmoins, il a fallu ajouter quelques millions pour l’acquisition foncière et la remise en état naturel du site de l’ancien camping, aujourd’hui en cours (les travaux de démolition, de désamiantage et de dépollution, le retrait des voiries, l’évacuation des merlons), soit un-peu-plus-de 1,7 million d’euros. Mais en contrepartie de quoi, la basse vallée de la Saâne va se retrouver tel… 


… Un petit Marquenterre

20 septembre 2024 : le bloc sanitaire de l’ancien camping municipal (un bâtiment très années 1970) a reçu son premier coup de pelleteuse. Avec la renaturation du site, le prochain chantier sera celui de la reconnexion à la mer : la route départementale côtière enjambera le débouché de la Saâne par un pont de 10 mètres. La nouvelle embouchure sera dès lors libre, et franchissable par les poissons migrateurs.  D’ici à 2050, le cours de la Saâne aura retrouvé ses méandres et son périmètre d’expansion. La basse vallée de la Saâne sera dès lors tel un petit Marquenterre, un paysage terre-mer de marais et roselières.

Ce programme de finalisation, dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par le Syndicat mixte des bassins versants, va lui-même coûter un-peu-plus-de 6,4 millions d’euros, financés à 90 % par l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Ainsi finalement, hormis la STEP, la relocation du camping, plus la renaturation du site, plus la reconnexion à la mer représentent un montant de 16,8 millions d’euros. 

Seuls se retrouvent gros-jean comme devant les propriétaires de bungalows, installés là, à deux pas de la plage, depuis les années 1950-1960. Tout cela s’était fait un peu à l’arrache, les terrains ne leur appartenant pas. Le Conservatoire du littoral qui a pu en acquérir la propriété a bien tenté de trouver d’autres parcelles un peu plus en hauteur pour proposer une relocalisation à ces désormais très malchanceux occupants. Peine perdue les parcelles ne pouvant être urbanisées, et les propriétaires ne seront indemnisés qu’à hauteur de la valeur de leurs murs. 

Ce petit exemple où il n’est ici question "que" d’un camping, d’une poignée de bungalows, d’un long talus et d’un vieil exutoire maintes fois reconstruit, nous donne idée du travail à réaliser sur d’autres zones, davantage urbanisées, voire industrialisées. Derrière cela une seule question : qui paiera ? Il est temps d’entamer une réflexion sur la mise en place d’un fonds significatif, permettant de prendre en charge les indemnisations et investissements très conséquents qui seront nécessaires dans les 30 ans pour renforcer l’adaptation des zones littorales au changement climatique. À défaut de quoi, nous serons nombreux à nous retrouver gros-jean. ▄

Le nouveau camping municipal de Quiberville-sur-Mer, ouvert depuis août 2023, qui a été rebaptisé Domaine Saâne et Mer, classé 4*, et qui est exploité en DSP par le groupe Seasonova, promoteur du "Slow Life".

 

Jean-François Bloc, maire de Quiberville-sur-Mer, Véronique Depreux, maire de Saint-Marguerite-sur-Mer, et Didier Ledrait, maire de Longueil.

 

20 septembre 2024, premier coup de pelleteuse sur le bloc sanitaire du camping, construit en 1973.

 

RETRAIT DU TRAIT DE CÔTE

Le décret n° 2024-531 du 10 juin 2024 modifiant le décret n° 2022-750 du 29 avril 2022, est venu compléter la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral. 75 nouvelles communes ont ainsi rejoint la liste qui compte désormais 317 communes contre 126 à sa première diffusion en 2022.

S'agissant des campings – puisque c'était un peu le sujet du jour – plus de 2 000 d'entre eux seraient concernés sur l'ensemble du territoire métropolitain, concentrant à eux seuls 50 % des hébergements en hôtellerie de plein air. Dans la Manche, des projections montrent qu'un tiers du camping aura disparu d'ici 30 ans. Jean-François Bloc, maire de Quiberville-sur-Mer (qui en est à son 7ème mandat), peut être heureux. Il a bien conduit son affaire.

 

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ResSources

Basse Saâne 2050
Vallée de la Saâne – Conservatoire du littoral 

Lower Otter Restoration Projet

Avis de l'Académie des technologiesAugmentation du niveau marin et ses conséquences sur les risques littoraux, juin 2024. Le lecteur y trouvera tous les liens intéressants sur cette problématique de l'évolution du trait de côte.