Israël, Connected LandMots clés : micro-irrigation, traitement des eaux usées, dessalement de l'eau de mer, dessalement des eaux saumâtres, nanofiltration |
ISRAËL, CONNECTED LAND
Prends en main le bâton dont tu frappas le fleuve et va ! Moi, je me tiendrai devant toi, là, sur le rocher, en Horeb. Tu frapperas le rocher, l’eau en jaillira et le peuple aura de quoi boire. Ainsi fit Moïse. Martine LE BECh2o – mars 2016
Vert. Sorti d’une grosse masse nuageuse, l’avion est en train de s’aligner sur l’une des trois pistes de l’aéroport international Ben Gourion de Tel Aviv. Par le hublot, on distingue maintenant le paysage : des échangeurs autoroutiers, des villes ou lotissements et des champs – rectilignes et bien verts. À notre sortie de l’aéroport, la pluie semble avoir redoublé mais, derrière le noir du goudron et le gris des bétons, apparaissent encore des taches vertes – celles de parcelles cultivées, de jachères ou de bosquets. 2014 et 2015 ont été deux belles années de pluviométrie et ce début 2016 ne semble pas décidé à marquer le pas. Israël est pourtant bel et bien en situation très "critique" face à la ressource en eau : les ressources renouvelables disponibles du pays varient selon les années entre 300 et 350 mètres cubes par habitant et par an (Pour rappel, le seuil de pénurie en eau ou "stress hydrique" est fixé à 1 700 m3 d’eau par habitant et par an ; la pénurie est considérée comme "chronique" en dessous du seuil de 1 000 m3 et qualifiée de "critique" en dessous de 500 m3). C’est donc assez logiquement que, dès sa mise en place, l’Autorité israélienne de l’eau a eu pour mission principale d’assurer la disponibilité de la ressource dans le pays indépendamment des conditions pluviométriques, comme l’explique Abraham Tenne, expert de l’eau, ancien président de la Commission nationale du dessalement au sein de la Direction générale de l’eau et de l’assainissement d’Israël (Israeli Governmental Water and Sewage Authority). Notons que c’est à ce poste, qu’il a occupé de 2005 à 2015, que M. Tenne a eu en charge tous les appels d’offres pour les 5 grandes usines de dessalement de l’eau de mer aujourd’hui opérationnelles ; il travaille désormais en tant que consultant sur des projets de création d’îles artificielles pour les prochaines usines de dessalement. Cette disponibilité devait être assurée pour tous les usagers : domestiques, municipaux, agricoles et industriels – israéliens mais aussi voisins puisqu’en vertu des accords signés (le traité de paix israélo-jordanien de 1994 et l’accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza de 1995, aussi appelé accord de Taba ou Oslo II), Israël doit fournir à ses voisins jordaniens et palestiniens un volume d’eau. En 2015, de demande en eau de l’agriculture s’élève à 1 milliard de mètres cubes, celle des municipalités 780 millions de mètres cubes (principalement pour les usages domestiques) et celle de l’industrie à 100 millions de mètres cubes. S’y ajoutent 150 millions de mètres cubes fournis aux Palestiniens et aux Jordaniens, plus 50 millions de mètres cubes minimum pour les écosystèmes et dorénavant la recharge des aquifères qui ont été surexploités durant des décennies (représentant elle-même un besoin additionnel de 150 millions de mètres cubes par an). Les besoins s’établissent ainsi à plus de 2 milliards de mètres cubes annuels alors que les ressources disponibles ne dépassent pas les 1,2 milliard de mètres cubes annuels les années de pluviométrie normale. Cependant, les fluctuations sont ici importantes d’une année sur l’autre, le rythme habituel étant de quatre à cinq années de sécheresse relative suivies d’une ou deux années de forte pluviométrie. En 2008, année de sécheresse sévère, le différentiel entre les besoins et les ressources naturelles s’est élevé à 1,7 milliard de mètres cubes. Cette pression restera élevée dans les années à venir notamment du fait de la demande domestique qui progresse chaque année de 1,8 %, du fait de la seule croissance démographique.
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75 % des besoins en eau potable couverts par le dessalement
À l’horizon de 2050, le pays sera confronté à une demande en eau annuelle supérieure à 3,5 milliards de mètres cubes ; d’ici là les ressources naturelles ne représenteront moins de 30 % des ressources contre 50 % aujourd’hui – et le gros de l’approvisionnement (70 % selon les prévisions) viendra de la mer. La première grande usine de dessalement d’eau de mer, implantée à Ashkelon, a commencé à produire en août 2005 (ce fut à l’époque la première unité par osmose inverse de cette dimension dans le monde), puis quatre autres grandes installations ont été construites l’espace d’une décennie à : Palmahim (2007), Hadera (2009), Sorek (2013, aujourd’hui la plus grosse unité au monde avec une production annuelle de 150 millions de mètres cubes) et Ashdod (2015, 100 millions de mètres cubes). Ces cinq usines sont seulement les plus importantes et celles destinées au traitement de l’eau de mer, 35 autres usines sont installées sur toute la frange littorale mais aussi à l’intérieur des terres, notamment dans le désert du Néguev, pour traiter des eaux saumâtres à destination de l’irrigation. Au total, ces 35 usines, plus anciennes mais qui constituent dorénavant un apport "secondaire" et local, produisent entre 70 et 75 millions de mètres cubes d’eau par an.
Les cinq usines de dessalement viennent récemment d’atteindre une production annuelle de 600 millions de mètres cubes d’eau potable (au-delà de leurs capacités nominales), représentant plus de 30 % des besoins en eau du pays et 75 % des besoins en eau potable. Toutes les cinq utilisent la technologie de l’osmose inverse et représentent une consommation électrique totale d’un peu plus de 2 GWh (la production d’un mètre cube d’eau potable par dessalement nécessite 3,5 KWh d’électricité, en d’autres mots, l’équivalent de consommation d’un climatiseur sur une heure). L’usine de Sorek (dernière mise en production avant la récente usine de Ashdod) produit ainsi de l’eau pour un coût hors taxe de 0,52 USD par mètre cube (Water Authority, mars 2015).
Les concentrés issus du processus (55 % du volume total produit) sont mélangés à l’eau de mer ayant servi au refroidissement des installations et rejetés dans la mer à une distance d’environ deux kilomètres du littoral. Les tests montrent qu’au-delà d’un rayon de 200 à 300 mètres, le taux de salinité de l’eau de mer redevient normal.
Ces investissements massifs dans le dessalement en ont imposé d’autres pour le transport de l’eau dorénavant produite sur le littoral, alors que l’eau provenait traditionnellement depuis soixante ans depuis le nord du pays (le lac de Tibériade), transportée par le National Carrier – la Conduite Nationale, sur laquelle était venue se greffer la plupart des ouvrages hydrauliques. L’objet est donc d’inverser le sens du transport – plus facile à dire qu’à faire. Les travaux ont été engagés après la mise en production des premières usines de dessalement pour un montant de plus de 15 milliards de shekels (plus de 4 milliards USD).
75 % de l’agriculture irriguée utilise le goutte-à-goutte
Le goutte-à-goutte représente 95 % de l’irrigation des espaces publics (abondamment végétalisés jusqu’aux échangeurs autoroutiers) et 75 % de l’agriculture irriguée ; les techniques agricoles continuent de s’orienter vers des solutions "intelligentes" : la sélection des cultures, leur adaptation en zones arides, le contrôle de leurs besoins en eau par capteurs connectés via GPS qui permettent de suivre la qualité des sols et la santé des plantes et de réguler en conséquence les flux d’eau d’irrigation et de produits phytosanitaires nécessaires aux plantes.
Mop Darom Ein Ha’Bessor est le centre régional pour le Sud de l’ARO, Agricultural Research Organization, équivalent israélien de l’INRA. On y teste des nouvelles variétés de plantes, proposées soit par les centres de recherche, soit par les semenciers, pour leurs conditions optimales de culture, leur adaptabilité au milieu, leur productivité, leurs besoins en adjuvants (engrais, pesticides, eau), leur résistance après récolte (durée de vie sur étalage) et leurs qualités gustatives. Après les tomates (70 % de la production nationale est réalisée dans la région), les poivrons et les aubergines – dont les rendements ont été multipliés par 3 ou 4 au cours des trois dernières décennies, avec des technologies qui permettent aujourd’hui de diminuer les consommations d’eau de 15 à 35 %, le centre teste dorénavant de nombreuses variétés de fruits exotiques et de fleurs, eux aussi destinés pour une grande part aux marchés d’export. |
Rami Messalem est professeur à l’Institut Jacob Blaustein pour la recherche sur le désert de l’Université Ben Gourion du Néguev et du dessalement des eaux saumâtres ou de mer et de la nanofiltration (NF). Il a développé en collaboration avec le Centre Arava de recherche sur l’optimisation de l’eau à usage agricole un système autonome de nanofiltration utilisant l’énergie solaire pour purifier l’eau, tout en lui permettant de conserver les minéraux utiles aux plantes. Avec le centre Arava, ils ont créé une ferme modèle dans le désert au sud de la mer Morte. La seule source d’eau disponible aux agriculteurs de cette région aride est de l’eau saumâtre souterraine puisée dans les bassins aquifères. Les chercheurs se sont focalisés sur la recherche d’une solution technologique pouvant fonctionner efficacement sur différents taux de salinité d’eau tout en réduisant la consommation énergétique et les coûts de maintenance. « La nouvelle technologie utilise des nanofiltres, qui permet d’utiliser une version lâche de l’osmose inverse, et par conséquent nous utilisons donc beaucoup moins d’énergie dans le processus », explique le chercheur. Les membranes de NF sont capables de produire en grande quantité de l’eau d’irrigation de bonne qualité tout en laissant aux utilisateurs la possibilité de décider quels minéraux doivent subsister dans l’eau et lesquels doivent en être extraits.
Le projet AGRISOL, soutenu par le fonds USAID, prévoit l’installation de deux centres de recherche : l’un en Israël, l'autre en Jordanie, qui vont prolonger les essais déjà réalisés à Arava. Les deux unités de NF solaire optimisées devront permettre d’évaluer la viabilité technique et économique sur le long terme de la technologie pour la culture d’au moins deux types de récoltes à haute valeur ajoutée pendant deux saisons consécutives. Les eaux utilisées en premier lieu seront les eaux saumâtres disponibles dans les sous-sols des zones désertiques du sud d’Israël et de Jordanie. Des tests sur des cultures alternées de plantes très sensibles au sel, neutres et aimant le sel seront effectués en parallèle pour appréhender les possibilités d’utilisation des saumures résultant du processus de dessalement.
Les résultats expérimentaux ont été extrêmement prometteurs. Le système permet aux agriculteurs d’économiser 25 % d’eau et d’engrais sans affecter les taux de croissance et de rendement, qui peuvent dans certain cas aussi être sensiblement améliorés.
Conclusion
Le système hydraulique israélien bâti autour du National Carrier constituait déjà une belle étude de cas pour les ingénieurs. S’y est ajouté un système pour l’assainissement permettant de récupérer, traiter et de redistribuer la quasi-totalité des eaux usées – et en tout cas la totalité des eaux usées d’origine urbaine – c’est l’objet du Third Pipe ayant creusé son tracé depuis la région de Tel Aviv jusqu’au Néguev. S’y ajoute dorénavant tout un ensemble de nouvelles connexions visant à transporter les 600 millions de mètres cubes produits par les grandes unités de dessalement – de facto situées en bord de mer, et plutôt au sud – alors que le réseau initial est conçu de manière télescopique sur un axe nord-sud.
À ne pas en douter Israël est une Terre connectée ; et cette affaire est sans rapport avec Internet. .
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Israel National Water System – carte Water Autority Mekorot IGUDAN Projet AGRISOL |
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Ce voyage d'étude était organisé par B’nai B’rith France. Plusieurs articles ont été publiés par des confrères : Qui veut boire l’eau des égouts ? par Francis Pisani – Le Monde L'eau en Israël : de la rareté à l'abondance par Cyrille – CDurable.info |