EAUX USÉES TRAITÉES
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ÎLE DE PORQUEROLLES
L’initiative pionnière des vergers du Conservatoire
L’île de Porquerolles, pionnière en la matière depuis 1980, irrigue les vergers du Conservatoire botanique avec des eaux usées traitées et une consommation jusqu’à 300 mètres cubes par jour en été. Les rejets d’eaux usées en mer en sont d’autant réduits. L’exemple de Porquerolles est symptomatique des difficultés des hauts-lieux touristiques avec une demande en eau potable exponentielle en période estivale, concomitante avec l'exploitation maraîchère et l'arrosage des vergers. Chaque jour, 350 mètres cubes sont pompés dans la nappe phréatique (dont une limitation à 60 m3 pour l'exploitation maraîchère). Le complément est assuré par une barge qui fait le trajet quotidiennement. Dès 1980, un traitement tertiaire par lagunage a été mis en service avec trois lagunes – deux de 4 000 m2 et une de 2 000 m2 – pour profondeur variant de 30 centimètres à 1 mètre. L'ensemble du réseau d'irrigation est entièrement vidangé une fois par an et les filtres sont nettoyés chaque semaine. Le curage de l'ensemble des lagunes est effectué tous les 6 à 9 ans. "Pour se rendre compte de la qualité de l'eau usée traitée en 2016, les analyses montrent que le taux de bactéries issues de matières fécales est quasi systématiquement en-dessous du seuil réglementaire et bien souvent en-dessous des seuils de détection des laboratoires !" précise Daniel Bielmann, chargé de mission Agriculture au Parc national de Port-Cros.
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CAVALAIRE ET LA CROIX-VALMER
Une démarche volontariste visant à diversifier les usages
Les mairies de Cavalaire et de la Croix-Valmer utilisent depuis 2014 de l’eau usée traitée pour arroser une partie de leurs espaces verts et veulent aller plus loin : d'autres utilisations potentielles sont à l'étude. Le SIVOM du littoral des Maures, gérant de la station d'épuration, fournit de l'eau usée traitée pour arroser, au printemps et en été, quatre parcelles d'espaces verts communaux. L’installation permet un potentiel de réutilisation de 200 mètres cubes par jour. La qualité de l'eau usée traitée est excellente puisqu'elle respecte largement le niveau sanitaire "A".
Le niveau sanitaire "A" permet de quasiment tout irriguer : pâturage, cultures maraîchères, pépinières, golfs, espaces verts ouverts au public alors qu’une eau de qualité "D" ne permet que l'arrosage de forêts d'exploitation avec, qui plus est, un accès contrôlé du public pendant les phases d'arrosage. Les eaux de qualité "A" sont obligatoirement analysées une fois par semaine. Le sol est également analysé au minimum tous les dix ans pour vérifier sa capacité à recevoir des eaux usées traitées. Dans le Var, la totalité des eaux usées traitées réutilisées sont de qualité sanitaire "A".
Anticiper la diversification des usages en exigeant dès le départ une eau de qualité sanitaire "A". Dès le départ, la qualité de l'eau devait être irréprochable car les usages liés à la réutilisation des eaux traitées étaient très sensibles : l'arrosage des espaces verts et le maraîchage notamment, explique Romain Girard, directeur régional au Cabinet Merlin / groupe Euryèce, maître d'œuvre de l'opération.
La préservation de la ressource locale en eau potable, enjeu prioritaire de la démarche. Avant de monter ce projet de réutilisation des eaux usées traitées, en 2010, les communes de Cavalaire et de la Croix-Valmer se sont d'abord interrogées sur les usages potentiels, leur localisation et leur quantification de façon à analyser les coûts à engager et le dimensionnement des installations à construire. C’est ainsi qu’en 2012, le SIVOM a décidé la création d'une unité capable de fournir quotidiennement 200 mètres cubes d'eau usée traitée, soit 50 000 m3/an, avec un dispositif de pompage permettant d'alimenter le réseau d'irrigation. L'unité de traitement tertiaire a coûté 500 000 euros, qui ont été financés à hauteur de 70 % par l'Agence de l'eau, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et le département du Var.
En 2013, un arrêté préfectoral a autorisé l'arrosage des espaces verts et depuis février 2016, le ministère de la Santé a autorisé l'utilisation de l'eau usée traitée pour d'autres usages comme le lavage des véhicules et le remplissage des bornes d'hydrocurage (pour le nettoyage des réseaux d'assainissement par exemple). Le dispositif de surveillance des eaux est double : il est assuré quotidiennement par le laboratoire de la station d'épuration et, chaque semaine, par un laboratoire indépendant. L'eau usée traitée est stockée avant arrosage dans une cuve de 25 mètres cubes. "Aujourd'hui, nous voulons aller plus loin. Nous espérons obtenir l'autorisation de l'ARS et de la DDTM du Var pour lancer de nouveaux usages identifiés mais non autorisés à ce jour, notamment le nettoyage des voiries, des quais de la déchetterie, de l'aire de carénage des bateaux et le remplissage des citernes incendie", explique Gérard Jacomet, directeur du SIVOM du littoral des Maures.
CLERMONT-FERRAND
Les eaux usées traitées au service d'un projet global de territoire
À proximité de la station d'épuration de Clermont-Ferrand, une usine de sucrerie avec d'immenses lagunes et des structures agricoles de production de maïs-semence sont installées. Pour avoir la possibilité de produire du "maïs-semence", il est nécessaire de bénéficier de ressources en eau de façon continue toute l'année. Or, ce territoire est déficitaire en eau.
Depuis 1996, la station d'épuration renvoie les eaux usées traitées dans les lagunes de la sucrerie qui permettent l'irrigation agricole de 700 hectares (maïs-semence, blé, betterave), ce qui évite le pompage direct dans les cours d'eau lesquels, de surcroît, ne permettraient d’irriguer que 200 hectares. Grâce à la mise en œuvre de cette démarche de réutilisation, les lagunes sont réhabilitées et retrouvent leur fonction d’espaces de stockage. Des études épidémiologiques sont pratiquées régulièrement afin de contrôler le milieu. La pêche est maintenue dans les cours d'eau et l'agriculture peut se développer puisque l'irrigation ne pose plus de problème.
"La valeur du projet est positive : entre les coûts évités et les gains de production, les agriculteurs ont gagné près de 6 millions d'euros et la sucrerie 9 millions d'euros. La collectivité avait, dès le départ, une vision claire de la rentabilité globale du projet. C'est en adoptant une logique territoriale sur cette démarche de réutilisation des eaux usées traitées, en prenant en compte les bénéfices environnementaux, sociaux et économiques qu'on arrive à atteindre des niveaux de rentabilité intéressants. Un projet ne peut fonctionner que s'il est rentable. C'est notamment l'objet des études d'analyses des coûts et bénéfices", explique Nicolas Condom (Bureau d'étude Ecofilae).
IRSTEA
Un site expérimental grandeur nature
"Le principe de précaution n'est pas forcément à appliquer dans ces démarches car l'eau traitée réutilisée est souvent de bien meilleure qualité que l'eau de rivière et systématiquement meilleure que les eaux issues de stations d'épuration classiques, car l'eau subit un traitement tertiaire", constate Bruno Molle, responsable de la plateforme de recherche et d’expérimentation en Sciences et Technologies d’irrigation à l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture).
L'IRSTEA travaille sur l'eau d'irrigation et les différents types d'irrigation afin de permettre une analyse très fine pour la recherche d'éventuels agents bactériologiques et pathogènes. À Agropolis (Montpellier) une équipe, composée de 16 chercheurs, ingénieurs et étudiants en thèse, pratique des tests en laboratoire et des expérimentations sur les équipements d'irrigation en travaillant sur des parcelles de 3,5 hectares. Mais une étude à taille réelle est également conduite à Murviel-lès-Montpellier : le site expérimental est constitué d'une station de lagunage et d'une parcelle agricole. Le programme de recherche vise à :
- adapter le traitement des eaux usées en sortie de station d'épuration à des usages d'irrigation et de rejet ;
- optimiser l'efficacité des systèmes d'irrigation ;
- valoriser les eaux usées traitées d'un point de vue agronomique ;
- maîtriser les risques sanitaires et environnementaux (survie des agents pathogènes dans les systèmes d’irrigation, l’atmosphère ou le sol, suivi de polluants émergents).
L'IRSTEA opère par injection de virus non infectieux dans un système d'irrigation en goutte-à-goutte et par aspersion sur des cultures. Différentes orientations de jets et différentes pressions sont testées. Les mesures sont effectuées jusqu'à 50 mètres de l'arroseur et la quantité d'eau tombant au sol est alors inférieure à 0,1 millilitre par mètre carré et par heure. La probabilité de contact et/ou d'ingestion de pathogènes est donc quasi-nulle.
UN CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE
qui évolue avec le développement des pratiques
Le risque bactérien, parasitaire et viral provient de la contamination microbiologique éventuelle des eaux usées. Il est donc nécessaire de protéger les personnes potentiellement exposées : les travailleurs exposés ou manipulant les récoltes, les consommateurs de produits issus de cultures irriguées, le public des espaces verts, forêts, etc. et bien sûr les riverains. "C'est le danger potentiel de l'exposition directe qui a dirigé les principes de la réglementation", reconnaît Laurent Poumarat de l’Agence régionale de santé. "La présence de bactéries issues de matières fécales (escherichia coli et entérocoques notamment) dans les eaux est significative parce qu'elle est un indicateur de la présence de toute une myriade d'autres germes. Dans le cas du nettoyage des voiries par exemple, il y a aspersion des eaux usées donc pénétration de gouttelettes dans les espaces urbains. Étant hors de question d’exposer la population à des gouttelettes d'eau contenant potentiellement des agents pathogènes, il est donc nécessaire d'empêcher tout contact direct avec la population et de garantir des usages qui permettent de prouver qu'il n'y a pas de conséquences sanitaires." Dans la pratique du lavage des voiries, les agents pathogènes que l'on retrouve aux environs des zones de nettoyage sont la plupart du temps ceux qui étaient déjà présents sur la voie avant l'utilisation de l'eau usée traitée. Il est donc important de connaître la façon dont on peut maîtriser ce type de pratiques pour limiter la remise en suspension de pathogènes. "Le but de toute cette réglementation est aussi de préserver la chaîne de responsabilité, des services de l'État à la collectivité qui met l'outil en place, et c'est aussi pour cela que la France est en retard sur la réutilisation des eaux usées traitées", constate Laurent Poumarat.
Les premières recommandations datent de 1991 mais c'est en 2009 que la réglementation française a abordé précisément la problématique de la récupération et de la réutilisation des eaux pluviales et des eaux usées avec la loi Grenelle 1. Le Plan national d’adaptation au changement climatique inscrit également ces nouvelles pratiques dans le but de développer les économies d’eau et assurer une meilleure efficience de l’utilisation de l’eau. L'objectif est double, d’une part, économiser 20 % de l’eau prélevée d'ici 2020 et, d’autre part, soutenir, en particulier dans les régions déficitaires, la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts. Celle-ci doit être envisagée avec des précautions strictes et différents suivis aux niveaux environnemental, agronomique et sanitaire.
Dès 2009, le ministère de la Santé s’est donc positionné donc en faveur de la réutilisation des eaux usées mais avec une limite sur l'aspersion : suite aux premières expertises de l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et de l'AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail), les collectivités qui désiraient mettre en place un système d'irrigation par aspersion devaient au préalable monter un projet pilote pendant six mois, soumis à l'évaluation des services de l'État. Sans garantie d'aboutissement, très peu de collectivités se sont lancées.
L’arrêté du 2 août 2010 relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts, modifié par l’arrêté du 25 juin 2014 redéfinissant les conditions d'usage de l'aspersion et, plus récemment, une instruction interministérielle d’avril 2016, ont redéfinit le cadre de la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts. Le nettoyage (voiries, ouvrages, véhicules…) à l'intérieur d'une station d'épuration n'est pas soumis à autorisation préfectorale. Concernant le nettoyage des espaces publics, il n'existe, à l'heure actuelle, aucun encadrement général et les autorisations sont délivrées au cas pas cas. Pour les utilisations innovantes et expérimentales, les autorisations sont également délivrées selon la nature du projet. "Il existe aujourd'hui des usages non réglementés par le ministère, notamment dans le cadre des usages urbains comme le lavage de bateaux, de quais, de voiries, des aires de carénage. Ça ne veut pas dire que c'est interdit. Ce qui est encadré, c'est l'information aux usagers, qui doit être accessible et transparente", précise Dominique Maumont (DDTM du Var).
AFFAIRE DE SÉMANTIQUE
Mais de moins en moins de sites industriels et de plus en plus de stations d'épuration
"La sémantique pose problème, le terme "eau usée traitée" rassemble seulement 10 % d'adhésion, alors que le terme "eau purifiée", qui signifie exactement la même chose, remporte 70 % d'adhésion. Pour faire évoluer les pratiques, il faut se placer dans la logique du consommateur et non pas dans une logique d'ingénieur. Il faut impérativement passer sur un label plus positif", note Nicolas Condom (Ecofilae). "La réglementation évolue, une réflexion est actuellement en cours sur des systèmes où la station d'épuration n'est plus considérée seulement comme l'endroit où on traite les eaux usées mais comme un véritable site industriel de valorisation globale. Autour des villes, on a de moins en moins de sites industriels mais de plus en plus de stations d'épuration !" renchérit Nicolas Roche (Université Aix-Marseille).
D'une manière générale, on ne note pas de développement bactériologique dans les stockages ouverts comme les lacs artificiels, les lagunes. En Caroline du Nord, aux États-Unis, un site expérimental a été construit afin que les scientifiques puissent étudier les impacts de ces espaces de stockage à ciel ouvert sur la biodiversité et l'accumulation des polluants. L’aménagement coûte entre 40 et 50 dollars au mètre carré ; à côté des espaces agricoles, des promenades et des zones de footing ont été aménagés. Là où il n’y avait rien, et surtout pas d’eau, il y a maintenant des activités et de la richesse.
Un exemple qui devrait inspirer les oléiculteurs des Baux-de-Provence. Ils souhaitent passer à l'irrigation dès l'année prochaine. Le coût de la mise en place d'une technique de réutilisation des eaux usées pourrait être aisément amorti car l'huile d'olive est un produit à haute valeur ajoutée. ▄
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L'Agence régionale pour l'environnement et l'écodéveloppement – ARPE PACA, fut la première agence pour l'environnement créée en France puisque dès 1979, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et les départements prirent l'initiative de s'associer au sein d'un syndicat mixte ayant pour vocation d'accompagner et d'apporter une assistance technique aux collectivités territoriales, aux établissement publics et à l'ensemble des acteurs socio-économiques et associatifs. L'ARPE intervient en complémentarité des politiques régionales et départementales. En matière d'assainissement, l'ARPE a entamé en 2005 une mission d'évaluation des techniques innovantes : filtres plantés de roseaux, lits de séchage plantés de roseaux, zones de rejet intermédiaire, traitement biologique compact, bioréacteurs à membranes. ARPE PACA |