Pour une politique globale de l’eau à l’échelle des bassins de vie
Sécheresses, inondations, pollutions, conflits d’usage, financement, etc. : l’eau est au cœur de crises sans précédent. Pour s’adapter aux changements climatiques et préserver notre cohésion sociale et territoriale, il est urgent de régler la question de la gouvernance de l'eau en clarifiant les responsabilités : la politique de l’eau doit reposer au national sur l’État, et au local sur les intercommunalités qui doivent avoir en main tous les leviers.
INTERCOMMUNALITÉS DE FRANCE
H2o – mars 2024
GEMAPI, gestion de l’eau potable et de l’assainissement, liens avec agriculteurs et industriels, etc. : les preuves sont faites du bien-fondé d’une politique globale de l’eau pilotée par l’intercommunalité. La cartographie des points noirs en termes de fuites sur les réseaux est éclairante. Des évolutions restent nécessaires, en particulier pour le modèle de financement de l’eau, assis sur les volumes consommés que justement il s’agit de réduire.
La loi prévoit que l’ensemble des intercommunalités de France devront être compétentes en matière de gestion de l’eau potable et de l’assainissement collectif en 2026. Si à l’occasion de la présentation du Plan Eau l’an dernier, le président Macron a rappelé la nécessité de dépasser l’échelle communale, plusieurs initiatives sénatoriales et des velléités de certaines communes, souvent de montagne, font craindre un report de cette obligation. Les enjeux sont trop pressants et les transferts doivent se préparer et être achevés en 2026.
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Fuites – Les "points noirs" de la gestion de l’eau en 2024
En France, plus de 8 millions de Français vivent dans les 5 667 communes qui exercent encore la gestion de l’eau de manière isolée. Ces communes sont majoritairement regroupées en zone de montagne. 198 collectivités affichent au moins un service d’eau avec un taux de rendement inférieur à 50 %, ceci signifiant que plus de la moitié de l’eau potable de ce réseau est perdue dans la nature. Parmi ces 198 points noirs, 151 services d’eau sont en gestion communale isolée. Plusieurs services d’eau peuvent coexister au sein d’une intercommunalité ou d’un syndicat. Lorsque l’intercommunalité apparaît sur la carte, ça n’est jamais l’ensemble de ses services qui présentent un rendement inférieur à 50 %, mais généralement quelques communes.
Source – Données SISPEA 2022 renseignées au 18 mars 2024, indicateur P104.3 excluant les anomalies détectées. Traitement Intercommunalités de France, mars 2024. |
Accès, qualité, quantité, GEMAPI : les enjeux contemporains de l’eau
Changement climatique, pollutions ou érosion de la biodiversité : les enjeux environnementaux affectent directement la ressource en eau. Améliorer sa gestion quantitative et qualitative implique de limiter les risques liés à l’eau, de réduire les pollutions à la source, d’améliorer les traitements, de réduire les fuites et de prévenir les conflits d’usage.
L’eau doit trouver sa place dans l’aménagement du territoire – Le changement climatique se traduit par des tensions fortes sur la ressource en eau. Inondations comme sécheresses sont plus fréquentes et plus intenses. En France, 17,1 millions d’habitants sont exposés aux conséquences des inondations par débordement de cours d’eau, dont 16,8 millions dans l’Hexagone, et 1,4 million de personnes sont exposées au risque de submersion marine.
Pour les intercommunalités compétentes pour la prévention des inondations, volet de la compétence GEMAPI, le défi ne se limite pas aux ouvrages de protection (digues), qui sont certes nécessaires mais pas suffisants. Il s’agit aussi de revoir l’aménagement du territoire pour faire place à l’eau dans la ville, et accompagner le renforcement d’une culture du risque. Menacée par le changement climatique, l’eau est aussi une partie de la solution pour s’y adapter, notamment en contribuant à améliorer la qualité de vie en ville (renaturation, îlots de fraîcheur).
La qualité de l’eau : une préoccupation croissante – Les préoccupations croissantes des citoyens pour la qualité de l’eau et le renforcement des exigences réglementaires imposent aux collectivités d’accroître les mesures de prévention et les traitements. D’ailleurs, la règlementation européenne imposera à terme le traitement des micropolluants, dont les origines sont multiples (agriculture, industrie, usages domestiques). Le changement climatique complique les choses car lorsque l’eau est disponible en quantité moindre, sa qualité se dégrade du fait de l’augmentation des concentrations en polluants.
L’eau est un sujet de cohésion sociale – L’accès à l’eau et à l’assainissement est également une question sociale, qu’on pense à leur accessibilité financière pour les ménages modestes ou à leur accès physique pour les personnes non-raccordées, dans l’espace public notamment. Les intercommunalités sont concernées au titre de la tarification de l’eau potable et de l’assainissement et de la mise à disposition d’un accès à l’eau pour les personnes non-raccordées. Très présente dans le débat public, la tarification sociale de l’eau est loin d’épuiser ce sujet qui interroge plus largement l’accompagnement des ménages en situation de précarité. Un an après la présentation du Plan Eau par le gouvernement, si la prise de conscience des enjeux liés à l’eau est nette, le défi de la mise en œuvre reste majeur.
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79 % des Français sont concernés par la gestion intercommunale de l'eau potable et de l'assainissement collectif et 86 % des Français sont concernées par la gestion intercommunale d'au moins un des deux compétences.
Sources – Données SISPEA et BANATIC. Traitement Intercommunalités de France, mars 2024. |
La gouvernance de l’eau : politique locale, politique globale
Progressivement, les transferts de compétences aux intercommunalités permettent de structurer une politique globale sur le cycle de l’eau, qui intègre tous ses aspects, dans chaque bassin de vie. Pour rappel : les intercommunalités exercent la compétence GEMAPI depuis 2018 ; les intercommunalités urbaines sont compétentes pour la gestion des eaux pluviales urbaines ; le transfert des compétences eau potable et assainissement collectif aux intercommunalités s’achèvera au 1er janvier 2026. Le mouvement est résolument engagé car 48 % des intercommunalités exercent la compétence eau potable et 56 % la compétence assainissement collectif.
Planifier les investissements – Faute d’investissements suffisants, le taux de rendement du réseau des services de moins de 3 500 habitants est de 74,3 %, soit 7,4 points en-dessous de la moyenne nationale (étude BDO et FP2E, 2023). Le transfert à l’intercommunalité est l’opportunité de renforcer la programmation des investissements, notamment en vue de réduire les fuites, et pour répondre aux nombreux enjeux quantitatifs et qualitatifs qui pèsent sur la ressource en eau.
Concilier les usages – Il n’y a pas de solution unique pour la gestion de l’eau. La réponse aux enjeux sera spécifique à chaque territoire et ne pourra qu’être construite avec l’ensemble des acteurs locaux : habitants, chefs d’entreprises, agriculteurs… Le dialogue autour du partage de la ressource et de l’amélioration de la qualité de l’eau doit s’organiser au niveau local, autour de l’intercommunalité car c’est la bonne échelle pour penser ensemble tous les usages.
Pour les intercommunalités compétentes pour la prévention des inondations, volet de la compétence GEMAPI, le défi ne se limite pas aux ouvrages de protection (digues), qui sont certes nécessaires mais pas suffisants. Il s’agit aussi de revoir l’aménagement du territoire pour faire place à l’eau dans la ville, et accompagner le renforcement d’une culture du risque.
Menacée par le changement climatique, l’eau est aussi une partie de la solution pour s’y adapter, notamment en contribuant à améliorer la qualité de vie en ville (renaturation, îlots de fraîcheur).
Agir en transversalité – Les enjeux de l’eau concernent l’ensemble des politiques publiques locales, du développement économique à l’aménagement et à la production énergétique. Au niveau économique, la disponibilité de la ressource devient un critère pour l’implantation ou l’extension d’activités économiques. Les intercommunalités urbaines sont compétentes pour la gestion des eaux pluviales urbaines. Dans le domaine énergétique, les services d’eau et d’assainissement peuvent contribuer à la production énergétique par la méthanisation des boues d’épuration, la récupération de chaleur fatale ou encore l’installation de panneaux solaires sur les sites, permettant de valoriser un foncier artificialisé.
L’intercommunalité, compétente en matière de développement économique et chargée d’élaborer et de mettre en œuvre le plan climat-air-énergie territorial (PCAET), dispose de leviers d’action pour répondre aux enjeux de l’eau.
Le financement de la politique de l’eau
Investir plus – Les besoins d’investissement pour l’eau potable et l’assainissement ne sont pas couverts. Selon la filière française de l’eau, 6,5 milliards d’euros sont investis chaque année. Il en faudrait 15 de plus sur 5 ans pour rattraper le retard d’investissement. D’autres facteurs vont aggraver le besoin d’investissement : le renforcement des exigences réglementaires pour la qualité de l’eau potable et pour le traitement des eaux usées ; les investissements pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable face aux sécheresses... Ces besoins d’investissement ne sont cependant pas chiffrés.
De nouveaux équilibres – Alors que les charges des services d’eau sont majoritairement fixes, leurs recettes dépendent des volumes distribués. Or la consommation d’eau potable diminue de l’ordre de 1 à 2 % par an. Souhaitable, cette réduction se traduit pour les services d’eau par une diminution des recettes. Le modèle économique des services d’eau et d’assainissement n’est donc pas adapté à l’impératif de sobriété. Il est urgent de le réformer, dans le respect des principes d’équité, d’équilibre économique et de préservation de l’environnement.
Quelles ressources pour agir ? – Pour assurer la gestion des eaux pluviales, les collectivités ne disposent d’aucune source de financement spécifique et recourent au budget général. Un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD, devenu IGEDD), paru en 2017, évalue que les charges de fonctionnement et d’investissement liées à la gestion des eaux pluviales nécessitent un budget annuel de l’ordre de 2 milliards d’euros au niveau national.
Sur le grand cycle de l’eau, le compte n’y est pas non plus. Les intercommunalités exercent la compétence GEMAPI et peuvent mobiliser une taxe dédiée, mais les montants qu’elle représente restent très en-deçà des besoins, accrus par le changement climatique. Les besoins portent autant sur le volet Prévention des inondations que le volet Gestion des milieux aquatiques, moins visible mais fondamental pour préserver la biodiversité et améliorer la qualité de l’eau.
Les agences de l’eau, partenaires incontournables des collectivités, doivent disposer de moyens renforcés pour accompagner l’ensemble des usagers vers la sobriété et l’amélioration de la qualité de l’eau. Intercommunalités de France appelle à un rééquilibrage des contributions des différents usagers et à l’application du principe "l’eau et la biodiversité payent l’eau et la biodiversité".
Un réservoir d’innovations locales
Plusieurs intercommunalités sont engagées avec leurs entreprises dans des démarches d’écologie industrielle territoriale visant notamment à faciliter la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) dans un secteur très gourmand en eau. C’est le cas dans l’agglomération Béthune Bruay Artois Lys Romane, dans le Pas-de-Calais (projet de l’aciériste Aperam Isbergues : jusqu’à un million de mètres cubes réutilisés). Orléans Métropole (Loiret) a inauguré en 2024 une installation innovante permettant de capter la chaleur résiduelle des eaux usées traitées d’une station d’épuration pour l’intégrer dans le système de chauffage urbain. Avec l’installation de deux pompes dotées d’un système d’intelligence embarquée, la communauté Loches Sud Touraine (Indre-et-Loire) réalise jusqu’à 90 % d’économies en maintenance (colmatage) et 40 % d’économies d’énergie sur ces deux postes. Le dispositif Arve Pure est une démarche partenariale qui propose un accompagnement technique et financier aux entreprises et aux collectivités pour réduire leurs rejets de micropolluants. L’opération collective est portée par le Syndicat mixte de l’Arve et de ses affluents (SM3A) en collaboration avec le Syndicat national du décolletage (SNDEC) et les collectivités opérationnelles du territoire, dont la communauté de communes Faucigny-Glières (Haute-Savoie). Le champ captant des Hauts Prés (Val-de-Reuil) alimente en eau potable plus de 40 000 personnes de l’Agglomération Seine-Eure (Eure). Pour protéger cette ressource, l’Agglo a acheté les 110 hectares de terre du périmètre de protection rapprochée du champ captant, pour y pratiquer une agriculture biologique.
Concrètement, ça représente quoi ? – L’agglomération Loire Forez (Loire, 87 communes, 111 000 habitants) : 5,08 millions de m3 prélevés pour l’eau potable ; 2 331 km de linéaire de canalisations ; 21 stations de traitement ; 23 stations de pompages ; 179 réservoirs. L’Agglomération a investi 7 millions d’euros en 2022 et à nouveau 6,3 millions en 2023. La communauté de communes Serre Ponçon - Val d’Avance (Hautes-Alpes, 16 communes, 7 800 habitants) a investi 4 millions d’euros en 2023-2024 pour : la remise en état des regards d’adduction d’eau potable et le renouvellement des canalisations ; la remise en état des systèmes de régulation et de comptage ; la sécurisation de la ressource par la protection des captages ; la mise en séparatif des réseaux afin d’éliminer les eaux claires parasites ; la réhabilitation des regards vétustes afin d’éliminer les eaux claires parasites. L’intégralité des ouvrages d’eau potable et d’assainissement a été équipée en 2020 d’un système commun de télésurveillance. ▄
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- ResSources
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100 % des intercommunalités sont compétentes pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI).
48 % des intercommunalités ont la compétence Eau.
56 % des intercommunalités ont la compétence Assainissement collectif.
Elles seront 100 % en 2026.
Les réseaux de distribution d’eau potable en France métropolitaine totalisent un linéaire de 900 000 km.
300 000 personnes en France métropolitaine ne bénéficient pas d’un raccordement au réseau de distribution d’eau potable.
3 à 5,4 milliards d'euros, c’est le besoin annuel d’investissement dans les réseaux d’eau potable en France, contre seulement 2,3 milliards d'euros actuellement mobilisés.
En métropole, 1 habitant sur 4 est concerné par le risque inondation.
15 milliards d'euros, c’est le montant estimé par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) des travaux à réaliser sur les digues transférées par l’État aux intercommunalités pour les adapter aux risques accrus par le changement climatique.
3,5 milliards d'euros, c’est l’estimation du coût des sécheresses en 2022.
550 milliards d'euros, c’est l’estimation du coût des inondations dans les Hauts-de-France en 2023.
274,9 milliards d'euros, c’est le volume national en 2022 de la taxe prélevée par les collectivités pour financer la prévention des inondations et la gestion des milieux aquatiques.
Sources – BANATIC (ministère de l’Intérieur), SISPEA (Observatoire national des services d’eau et d’assainissement), rapport JMP 2019 (OMS-UNICEF), UIE (Union nationale des industries et entreprises de l’eau, 2017), ministère de la Transition écologique, Caisse centrale de réassurance.
Intercommunautés de France – dossier de presse et carte HD des "points noirs" |