Eaux argentines |
Page 1 sur 2 Le bilan une décennie après les privatisations
Alex NIKICHUK
Ce texte s'inspire, d'une part, de l'article de Nana Bevillaqua, médiatrice de la Nation, publié dans Le Monde Diplomatique, édition argentine de août 2001 et, d'autre part, d'un rapport de l'Union de défense de consommateurs de Rosario. Il est difficile de brosser un tableau de l'eau en Argentine tant les intervenants sont multiples et variés. Ces intervenants sont :
La décennie 1990 a été marquée par la privatisation de tous les services publics argentins, cette politique ayant été impulsée par l'ancien président Carlos Menem, issu du Parti justicialiste. C'est ainsi que la Compagnie nationale du pétrole (YPF) a été vendue à Repsol, le téléphone pour moitié à France Télécom et moitié à Telefonica, le transport aérien à Iberia et l'énergie électrique de la capitale Buenos Aires à l'EDF (à 80 %). Mais la décennie a aussi été celle de la "dollarisation" de l'économie, la monnaie nationale (le peso) étant maintenu à parité avec le dollar US. Dans le processus de privatisation de l'eau, l'organisme d'Etat, Obras Sanitarias, a d'abord été décentralisé dans les trois provinces citées et ce sont des lois provinciales qui ont ensuite permis la privatisation des délégations locales concernées. Cette privatisation a d'ailleurs été facilitée par la médiocre qualité du service offert au préalable par l'entreprise étatique (avec des problèmes de pression d'eau, d'extension de réseaux anarchiques et bien sûr d'innombrables litiges avec les usagers). L'action de la Banco de Galicia a été déterminante dès 1993, à l'arrivée de Lyonnaise des Eaux sur Buenos Aires, la capitale et une partie de la province pour une couverture d'environ 10 millions d'usagers. Le marché s'étendra ensuite, en 1995, sur 15 villes de la province de Santa Fe (2 millions d'habitants) et, en 1998, dans la capitale de la province de Cordoba (1 million d'habitants).
Avec aujourd'hui un recul de 10 ans, le bilan apparaît lourd. Interprétations contractuelles...Les informations qui suivent font particulièrement référence à la capitale (Buenos Aires) et à la province du même nom.
Au terme d'un premier contrat, signé pour la période 1993-1998, seulement 630 000 nouveaux usagers ont été reliés au service d'eau potable et 112 000 au service d'assainissement, alors que les objectifs initiaux étaient respectivement de 1 331 000 usagers pour la distribution et 929 000 pour l'assainissement. Rappelons ici que si la concession a été conférée pour un montant de 26,9 % inférieur au prix de référence (avec d'ailleurs aucun droit à payer sur les infrastructures existantes), elle était assortie pour l'industriel d'une obligation d'investissement pour un montant 1,3 milliard de pesos (équivalents à l'époque à 1,3 milliard de dollars). Alors que le contrat initial prévoyait aussi le maintien des tarifs sur dix ans, ceux-ci ont augmenté de 45 % de 1993 à 2001. Sur la même période, le tarif initial que les nouveaux usagers devaient payer pour le développement de l'infrastructure, a été augmenté de 42 % ; les usagers devant aussi acquitter un montant de 126 pesos pendant 30 mois à la souscription du contrat. … non sans avantagesLa politique de l’entreprise Aguas Argentinas a consisté essentiellement à développer le réseau d’adduction d’eau potable au détriment du développement du réseau d’assainissement. C’était là le moyen le plus pratique pour elle, d’encaisser le montant d’un service qui s’est chiffré à 500 millions de dollars par an. Malgré l’engagement contractuel de ne pas augmenter les tarifs du service, l’entreprise a bénéficié de dérogations successives de la part de la puissance publique, pratiquant ainsi une surfacturation très avantageuse en termes de bénéfices.
L'augmentation des bénéfices de Aguas Argentinas a de fait respectivement été de 43 % entre 1994 et 1998, puis de 68 % entre 1998 et 1999, alors que dans le même temps le nombre d'usagers connectés au réseau augmentait respectivement de 20,7 % et 31,5 %. Il en ait résulté un taux de bénéfice net de 8,7 % en 1994 et 27,6 % en 1999… à comparer avec les 6 % et quelques habituellement dégagés aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France. … et fortement soutenusLa secrétaire d'Etat aux ressources naturelles et au développement durable, Maria Julia Alzogaray, a largement soutenu l'entreprise privée au travers de divers actes réglementaires, décrets ou résolutions ministérielles, limitant son risque financier, passant outre au non-respect des engagements et validant en quelque sorte les bénéfices produits. La responsable a aussi justifié de manière plutôt arbitraire l'ajournement de la construction de la station de Berazategui, et ce en dépit de l'avis contraire émis par la Banque mondiale. Le nouveau contrat pour la période 1999-2004 prévoit l'ajustement des tarifs en fonction des coûts d'exploitation introduisant, de manière complètement arbitraire, un facteur d'actualisation des tarifs en fonction de l'inflation aux Etats-Unis, principe assez logique car l’économie était sous l’emprise de la monnaie états-unienne et la monnaie argentine, le peso, "dollarisé". Le contrat prévoit aussi l'extension du réseau d'égouts sur 130 km, financés de la manière suivante : 60 km financés par une augmentation cumulative de 3,9 % par an, 50 km financés par les propriétaires riverains et, les 20 km restants qui seront eux financés par l'entreprise mais à la faveur d'une diminution d'impôts.
Madame Alzogaray est aujourd'hui entendue par la justice argentine, sur les motifs suivants : fraude contre l’administration publique, fraude sur la passation des marchés publics lors de la privatisation de l’entreprise du téléphone. La morale de l'histoireLes appétits privés – voire personnels, n'ont que faire de la déliquescence d'un Etat, au contraire. Si les conditions sont réunies pour une résiliation pure et simple du contrat de concession, qui prendra l'initiative d'une telle action ? A Rosario (un million d’habitants et sous contrat de Aguas Argentinas), un collectif d'usagers est tout cas bien "remonté". Le collectif a organisé un référendum appelant les citoyens à se prononcer sur le maintien ou non du contrat de concession. Bien qu’illégal, ce referendum a permis à 250 000 personnes d'opposer un "non" formel à la concession. .
|