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Pour la reconnaissance constitutionnelle du droit à l'eau et à l'assainissement

Mots clés : Art. 1‑1. – Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains
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ASSEMBLÉE NATIONALE
Proposition transpartisane visant à constitutionaliser le droit à l'eau et à l'assainissement 

 

Huit députés, appartenant à huit groupes parlementaires, agissant en leur nom propre ou au nom de leur groupe, ont déposé ce 22 mars 2023, jour de la Journée mondiale de l'eau, une proposition de loi constitutionnelle visant à reconnaître le droit à l'eau et à l'assainissement comme un droit humain fondamental en vertu de la résolution 64/292 adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010.

L’examen en première lecture du texte devrait survenir en juin prochain.

Les huit députés sont : Gabriel Amard (député du Rhône, LFI-NUPES), Chantal Jourdan (députée de l'Orne, Socialistes et apparentés-NUPES), Mansour Kamardine (député de Mayotte, Les Républicains), Marcellin Nadeau (député de Martinique, Gauche démocrate et républicaine-NUPES), Hubert Ott (député du Haut-Rhin, MoDem et Indépendants), Marie Pochon (députée de la Drôme, Écologiste- NUPES), Olivier Serva (député de Guadeloupe, Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), Anne-Cécile Violland (députée de Haute-Savoie, Horizons et apparentés).

ci-dessous, le texte intégral de la proposition de loi constitutionnelle

illustration Assemblée nationale
H2o – mars 2023

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à transposer la résolution 64/292 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010 et ainsi mettre en conformité la charte de l’environnement avec le droit international, en y inscrivant le droit à l’eau comme un droit humain fondamental.


Le droit à l’eau et à l’assainissement a été reconnu par les Nations unies en 2010

Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 64/292 qui en son premier alinéa "reconnaît que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme."

La résolution, présentée à l’initiative de la Bolivie, a été adoptée par 122 voix et 41 abstentions et aucun vote contre. L’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie et onze pays de l’Union européenne, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique, regroupent l’essentiel des votes favorables.

Comme le souligne un communiqué de l’Organisation des Nations unies, "l’Assemblée générale a "reconnu" ce matin, dans une résolution adoptée par 122 voix et 41 abstentions, le droit à une eau potable salubre et propre comme un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme." L’Assemblée générale n’a pas créé un nouveau droit humain, mais "a simplement reconnu officiellement l’existence d’un droit existant" a expliqué ultérieurement à la presse Catarina de Albuquerque, première rapporteure spéciale des Nations unies pour le droit à l’eau et à l’assainissement. Cette résolution confirme que tous les États reconnaissent ce droit.

Cette résolution a été suivie de deux résolutions complémentaires. Le 30 septembre 2010, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU a été adoptée par consensus la résolution confirmant la résolution du 28 juillet 2010. La résolution A/64/L.63/Rev.1 déclare : "le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme". Le 18 décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution A/RES/68/157 qui réaffirme la résolution de 2010.


Des résolutions préparatoires antérieures

Ces résolutions font suite à une série de conventions et de programmes au niveau international.

La Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes stipule dans son article 14 que "les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales […] et, en particulier, ils leur assurent le droit : de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau."

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989), ratifiée par presque tous les États du globe, dans son article 24 rappelle que "les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible […]. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour : lutter contre la maladie et la malnutrition […] grâce notamment […] à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable."

Ratifié par 16 pays et entré en vigueur en août 2005, le Protocole sur l’eau et la santé, issu de la Convention de 1992 (signé et approuvé par la France) sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux, stipule dans ses articles 4 à 6 que les parties "prennent, en particulier, toutes les mesures appropriées pour assurer un approvisionnement adéquat en eau potable salubre", "un accès équitable à l’eau, adéquat du point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif, devrait être assuré à tous les habitants ; notamment aux personnes défavorisées ou socialement exclues" et "poursuivent les buts suivants : l’accès de tous à l’eau potable ; l’assainissement pour tous".

Depuis 2002, le droit à l’eau figure implicitement dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC 1966), auquel 160 États sont parties prenantes. Le Pacte comprend le droit à être à l’abri de la faim (art. 2) à un niveau de vie suffisant (art. 11) et le droit à la santé (art. 12). Le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) a réinterprété le 26 novembre 2002 dans son observation générale n° 15 sur le droit à l’eau l’article 11 et reconnaît alors que « le droit à l’eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant que l’eau est l’un des éléments les plus essentiels à la survie. » Cette observation n° 15 affirme que "l’accès à une fourniture adéquate d’eau pour un usage personnel et domestique constitue un droit humain fondamental de toute personne."

L’article 28 sur le niveau de vie adéquat et la protection sociale de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2008 stipule que les États parties prenantes prennent des "mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, y compris des mesures destinées à" : "Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services d’eau salubre et leur assurer l’accès à des services, appareils et accessoires et autres aides répondant aux besoins créés par leur handicap qui soient appropriés et abordables."

Enfin, l’accès à l’eau potable figurait dans l’objectif 7.C des Objectifs du Millénaire pour le Développement (2000) : "Réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas d’accès à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base" (OMD 7 C). Il se retrouve aussi dans les Objectifs du développement durable, ratifiés en septembre 2015. Les pays membres de l’ONU, se donnent pour mission de "garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau" (objectif numéro 6). La reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement au niveau constitutionnel résulterait donc des conventions internationales auxquelles la France est partie prenante.

Plusieurs résolutions et déclarations ont également évoqué ou reconnu le droit à l’eau et à l’assainissement : la résolution de l’Assemblée générale 54/175 du 17 décembre 1999 sur le droit au développement, la déclaration lors du sommet de Johannesburg sur le développement durable de 2002, le texte adopté à l’unanimité lors de la Conférence RIO +20 en juin 2012.


Le droit à l’eau et à l’assainissement est reconnu comme un droit humain par de nombreux États

178 États de toutes les régions du globe ont déjà reconnu le droit à l’eau et à l’assainissement dans des déclarations ou des résolutions internationales. Les gouvernements sont tenus de garantir ces droits mais aucun mécanisme, ni aucun traité international ne vient les contraindre ou les pénaliser en cas d’inaction. Sur la scène internationale, le droit humain à l’eau et à l’assainissement manque donc d’autonomie et d’effectivité normative.

Pour autant, plusieurs États ont déjà reconnu dans leur constitution le droit à l’eau : la Bolivie, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte, la Slovénie, l’Éthiopie, le Niger, la Colombie, la République démocratique du Congo, l’Uruguay, le Kenya, l’Équateur, etc.

De nombreux pays ou instances régionales et internationales se sont dotés de textes consacrant le droit d’accès à l’eau pour toutes et tous. Plusieurs États ont reconnu ce droit au sein de chartes et de protocoles régionaux : la Charte d’Addis‑Abeba de 1990, la Charte de l’eau du Bassin du Niger, le Protocole à la Convention américaine des Droits de l’homme, la Charte arabe des droits de l’homme, etc.

La France doit rejoindre ce mouvement et consacrer dans notre "bloc constitutionnel" le droit à l’eau.


Le droit à l’eau et à l’assainissement absent de la législation française

Le droit à l’eau n’est pas reconnu ni dans la Constitution, ni dans la Charte de l’environnement, ni dans la législation française.

L’article L.210‑1 du code de l’environnement, dispose que "l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation" et que "l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous". Cet article ne permet pas d’intégrer le droit à l’eau de manière complète et par ailleurs le droit à l’assainissement est absent. La transposition de la directive sur l’eau potable destinée à la consommation humaine ne reconnaît pas non plus le droit à l’eau, malgré des avancées notables dans l’ordonnance n° 2022‑1611 du 22 décembre 2022, qui améliore l’accès à l’eau potable sans en prévoir les modalités concrètes d’applicabilité

La jurisprudence tente bon an mal an de défendre le droit à l’eau au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (décision n° 2015‑470 QPC), le droit à une vie familiale (décision n° 94‑359 du 15 janvier 1995 sur la diversité de l’Habitat et l’arrêt du Conseil d’État GISTI, CFDT et CGT du 8 décembre 1978) et la sauvegarde de la dignité humaine (arrêt Morsang‑sur‑Orge du Conseil d’État du 27 octobre 1995).

Enfin, dans la foulée de la résolution A/76/L.75 du 26 juillet 2022 de l’Assemblée générale des Nations unies qui "considère que le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains", le Conseil d’État a reconnu dans sa décision n° 451129 du 20 septembre 2022 en référé‑liberté que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé constitue une liberté fondamentale. Cette décision du juge administratif invite à aller plus loin concernant le droit à l’eau et à le reconnaître clairement.

Mais, hormis l’interdiction des coupures d’eau de loi "Brottes" du 15 avril 2013 (parfois peu respectée), ces quelques bases juridiques ne sont pas des points d’appui suffisamment sûrs et étayés permettant de faire respecter le droit humain à l’eau potable et à l’assainissement dans des situations très concrètes : non‑raccordement à l’eau potable et à l’assainissement des campements et des bidonvilles, tarifs excessifs de l’eau potable dans certains territoires, en particulier ultra‑marins, non‑accessibilité de l’eau potable pour des populations entières comme à Mayotte, toilettes et bains‑douches inexistants ou payants, absence de toilettes et de fontaines publiques et gratuites dans l’espace public, mauvaise qualité de l’eau potable en raison de défaut dans les infrastructures ou de présence de pesticides en matière de partage équitable de la ressource entre types d’usagers, etc. Des aides sociales sont rendues possibles dans le code de l’action sociale et le code général des collectivités territoriales. Pour autant, les aides sociales ne relèvent pas d’un droit humain fondamental, inconditionnel et égal pour tous.

Devant cette absence de reconnaissance du droit à l’eau, le Conseil économique, environnemental et social préconise donc – dans un rapport intitulé La gestion de l’eau et de l’assainissement dans les Outre‑mer publié en octobre 2022 – aux parlementaires de déposer une proposition de loi conférant un "droit opposable à l’accès à l’eau potable pour tous et toutes".


Transposer les déclarations des Nations unies à la Constitution ou à la législation françaises est habituel

Le code de l’environnement dans sa rédaction actuelle est insuffisant pour consacrer un droit effectif à l’accès à l’eau potable. L’échelle pertinente est celle du bloc constitutionnel, à l’instar des autres États ayant reconnu le droit à l’eau et à l’assainissement dans leur loi fondamentale.

Cette proposition d’ajout à la charte de l’environnement vise donc à consacrer le droit à l’eau comme un droit fondamental reconnu en tant que tel par la constitution en transposant telle quelle l’alinéa 1 de la résolution 64/292 du 28 juillet 2010 de l’Assemblée générale des Nations unies.

Cette proposition propose de compléter la Charte de l’Environnement. Par sa décision du 3 octobre 2008, "Commune d’Annecy" (arrêt du 3 octobre 2008 n° 297931), le Conseil d’État a pleinement reconnu la valeur constitutionnelle de la charte.

La présente proposition de loi constitutionnelle est constituée d’un article unique visant à inscrire dans le bloc constitutionnel le droit à l’eau, sous la forme d’un article additionnel à la Charte de l’environnement qui s’insérerait après l’article 1. 

 

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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique

Après l’article 1 de la Charte de l’environnement, il est inséré un article 1‑1 ainsi rédigé :
"Art. 1‑1. – Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains."

Assemblée nationale – Proposition de loi constitutionnelle