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L'EAU EN QUÊTE D'UN STATUT
Martine LE BEC Paris – le 22 février 2006
1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable.
En dépit de la croissance qu’elles ont connu au cours des cinquante dernières années, nos sociétés sont confrontées, à l’orée du 21ème siècle, à un problème aussi vital et urgent que celles de la fin du 19ème : assurer à chaque être humain l’accès à l’eau potable. Nous sommes déjà 6,5 milliards à abuser des réserves d’eau douce de la planète. Qu’adviendra-t-il lorsque se tendront quelques milliards d’autres mains ? On estime que d’ici 2025 un milliard supplémentaire de personnes viendront grossir les rangs des populations pour lesquelles l’eau constitue un problème majeur ; quatre milliards d’entre nous, la moitié de la population du globe, seront confrontés à un déficit. 1980-1990, la décennie manquéeLes premiers cris d'alarme ont été lancés il y aura bientôt… 30 ans : c’était à Mar del Plata, en Argentine, lors de la première conférence internationale sur l'eau organisée par les Nations unies en 1977. Volontaires, les 150 nations présentes décidaient d’initier la "Décennie pour l'eau potable et l'assainissement" (DIEPA – 1981-1990). Son objectif : assurer, avant 1990, une eau potable accessible à chacun, en quantité et qualité suffisantes. Les résultats de cette décennie seront bien en deçà des espérances. Les besoins financiers avaient été sous-estimés, en même temps que la crise économique, l'accroissement démographique et l’urbanisation galopante allaient compliquer la situation. Réunis à New Delhi, en septembre 1990, le comité directeur de la DIEPA et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), entourés de 155 pays, prennent acte de l'impossibilité de couvrir les besoins en eau de toute la population à défaut d’une participation financière des usagers. L'eau ne peut plus être considérée comme un bien gratuit ; elle a un coût économique et social, en conséquence de quoi, les usagers doivent participer financièrement à son service. La conférence met tout de même en place un programme, "Eau salubre 2000", dont l'objectif est de permettre un accès à l'eau potable pour tous à l'aube du troisième millénaire.
La décennie 1990 sera émaillée de rencontres internationales : la conférence de Dublin (1992), le sommet de Rio de Janeiro (1992), la conférence ministérielle de Noordwijk (1994), le 1er forum mondial de l'eau (Marrakech, 1997), la conférence internationale eau et développement durable (Paris, 1998). L’avènement du nouveau millénaire multiplieront les essais : avec le 2ème forum mondial de l'eau (La Haye, 2000), la conférence ministérielle de Bonn (2001), le sommet de Johannesburg (2002), le 3ème forum mondial de l’eau (Kyoto, 2003), le 4ème (Mexico, 2006) mais aussi le forum mondial alternatif de l’eau (Florence, 2003 – Genève, 2005 – Mexico, 2006) ainsi que les forums sociaux, régionaux ou mondiaux, ayant aussi placé les enjeux de l’eau au cœur des débats. L’eau, entre politiques et sociétéCette multiplication des conférences a permis aux spécialistes d’affiner leurs approches des problématiques de l’eau ainsi que leurs outils de gestion. De nouveaux concepts ont été élaborés ou étendus : le principe de pollueur-payeur, la gestion par bassin, la gestion intégrée des ressources, la notion d’eau virtuelle, etc. ; de nouveaux programmes ont été mis en œuvre dont le Programme mondial pour l'évaluation des ressources en eau (en anglais WWAP). Parallèlement – et ce n’est pas le moindre, s’est progressivement imposée la nécessité d’une approche locale et partagée par les usagers pour "une meilleure gouvernance de l’eau".
La chose a été entendue puisque le 4ème forum mondial, qui se tiendra le mois prochain à Mexico, focalisera les débats sur le thème "Des actions locales pour un défi mondial". Pour la première fois aussi, le courant "alternatif" sera présent à Mexico où, après moult hésitations, les principales ONG se sont accordées pour lancer une manifestation parallèle de "Défense de l’eau". De quoi donner, dans les médias du monde entier, une plus grande ampleur à Journée mondiale de l’eau (22 mars). Les OMD ou la menace d’un échec annoncéCe sont les petits ruisseaux qui font les grands fleuves et celui à tracer d’ici 2015 est de taille puisqu’il s’agit de réduire de moitié d’ici cette date la proportion de gens qui, sur la planète, n’ont aucun accès à l’eau ou à l’assainissement. En pointillé de cet objectif du millénaire pour le développement (OMD) a aussi été affirmée l’ambition de couvrir l’intégralité des besoins en eau de la population mondiale et ce, d’ici à 2025. La seule perspective de 2015 imposerait de doubler les investissements actuels et de consacrer au bas mot chaque année 10 milliards de dollars supplémentaires au secteur – L’analyse démontre qu’il serait en conséquence nécessaire que les pays développés doublent leur aide pour l’eau. [Cette estimation, qui se situe bien en deçà de celles provenant de divers organismes dont la Banque mondiale, n’intègre ni les investissements destinés à maintenir les réseaux actuels en fonctionnement, ni les investissements de traitement des eaux usées, ni ceux pour l’eau utilisée par l’agriculture, l’industrie ou les services. La prise en compte de ces infrastructures supposerait de multiplier le montant des investissements supplémentaires à réaliser par 10] Pour l’heure, les pays en développement se sont quasiment tous engagés dans l’évaluation de leurs besoins. Hydraulique urbaine et périurbaine, hydraulique rurale, réseau d’adduction, réservoirs de rétention, projets de transfert, usines de dessalement, opérations d’ensemencement des nuages, les programmes se multiplient, les colonnes de chiffres s’allongent avec frénésie mais souvent sans garantie aucune de financement. Le grand maître de la réussite de la plupart de ces projets sera de toute façon la Banque mondiale qui, au grand dam des organisations altermondialistes, est convaincue d’avoir trouver LA solution. Celle-ci tient en trois lettres : PPP comme partenariats public-privé. [Le principe des PPP consiste à réunir les autorités publiques et les agents privés pour concevoir, financer, construire, gérer ou préserver un projet d’intérêt public. Pour ou contre les PPP, voir à ce sujet l’avis, contrasté, de Pierre Jacquet de l’Agence française pour le développement, et de Riccardo Petrella de l’Association pour le contrat mondial de l’eau.]
Le débat, agité, qui en résulte est loin d’être constructif. Il omet le fond du problème : que meurent chaque année plus de 5 millions de personnes du fait de la mauvaise qualité de l’eau qu’elles ont consommée ; plus de 1,6 million d’enfants, un toutes les 20 secondes. [1,6 million d’enfants de moins de 5 ans. Chiffres de l’Organisation mondiale pour la santé, réaffirmés dans un communiqué du 03-06-2005.] Droit à l’eau, droit de l’eau, l’eau en quête d’un statutEn réalité le débat sur les financements et les modes de gestion de l’eau, s’il est légitime en soi, a, depuis 2000, mis de côté la question pourtant plus fondamentale du droit à l’eau. Ceci est d’autant plus regrettable que l’application de ce droit à l’eau – pouvant décemment être fixé à 40 litres par personne et par jour [20 litres d’eau potable par jour est la quantité nécessaire à un être humain pour ses besoins élémentaires (en boisson, alimentation et hygiène). En milieu urbain, ce seuil monte à 50 litres. La fondation France Libertés, présidée par Madame Danielle Mitterrand, revendique 40 litres par jour et par personne] – serait d’un coût relativement limité, et en tout cas sans commune mesure avec la mise en œuvre des OMD. Le droit à l’eau a été reconnu par l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution de 1999) ; sa reconnaissance au plan interne, dans les législations nationales, permettrait de hisser l’accès à l’eau et – c’est à espérer, à l’assainissement aux premiers rangs de l’action publique dans les pays en développement et de mettre fin progressivement à des discriminations intolérables. Il est de fait évident que l’accès à l’eau va de paire avec un assainissement adéquat. Mais c’est justement en matière d’assainissement que les objectifs seront les plus difficiles à atteindre ; c’est aussi à ce niveau que les coûts de l’inaction risquent à moyen terme de s’avérer très lourds et ce, autant en matière de santé publique que d’environnement. La question du droit à l’eau amènera un jour ou l’autre celle du droit de l’eau. L’utilisation non durable de l’eau menace de plus en plus notre environnement et, par voie de conséquence, notre santé. La déperdition des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria qui alimentaient la mer d’Aral n’est pas un cas tragique et isolé ; les plus grands fleuves de la planète s’assèchent aujourd’hui complètement durant certaines périodes de l’année et déjà 10 % des terres irriguées sont endommagées par le sel. Avec aujourd’hui la mise en exploitation intensive de certains grands aquifères, les plus gros dommages restent à venir. D’ailleurs le saviez-vous, l'eau serait peut-être schizophrène ? Ses propriétés physiques à l’état liquide ne respectent pas les lois établies pour les autres éléments liquides. Depuis plus d'un siècle, des physiciens soupçonnent que la cause en serait un dédoublement de la structure. Encore aujourd'hui, ils discutent... L’eau schizophrène ? Avouez qu’on le serait à moins. .
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