ENTRE DÉFIS ET STRATÉGIES
Les enjeux de l'eau pour le 21ème siècle Martine LE BEC-CABON
photos Martin SEIDL
Res Publica, n° 36 – février 2004
BioContact, n° 137 – juin 2004
H2o – mars 2004
En dépit de la croissance qu’elles ont connu au cours des cinquante dernières années, nos sociétés sont confrontées, à l’orée du 21ème siècle, à un problème aussi vital et urgent que ceux de la fin du 19ème : assurer à chaque être humain l’accès à l’eau potable. En moins d’un siècle, la population mondiale a été multipliée par trois, la consommation d’eau par six – et même par trente pour celle liée aux usages industriels. D’emblée les disparités s’imposent brutalement. 12 % de la population mondiale, celle des pays développés, utilisent 85 % de l’eau consommée chaque année dans le monde. 1,2 milliard de personnes n’ont aujourd’hui pas accès à une eau potable saine ; plus de 2,4 milliards n’ont aucun assainissement de base. 3,5 milliards d’êtres humains présentent aussi chaque année des infections liées à la mauvaise qualité de l’eau ; plus de 5 millions en meurent… un enfant toutes les 8 secondes. [Chiffres avancés par le Fonds des Nations unies pour la population – FNUAP, en anglais UNFPA, et par l’Organisation mondiale de santé – OMS. Pour toutes les données relatives à l’eau, voir : Pierre HUBERT et Michèle MARIN, Quelle eau boirons-nous demain ?, Phare Hachette, septembre 2001.]
C’est donc de manière cruciale que se pose aujourd’hui la question : une partie de la planète est-elle irrémédiablement condamnée à manquer d’eau ? Malheureusement, force est d’admettre que les institutions internationales et les États membres des Nations unies s’y sont apparemment résignés, de manière paradoxale d’ailleurs, en souscrivant aux Objectifs de Développement du Millénaire visant à réduire de moitié d’ici 2015 le pourcentage de la population mondiale n’ayant pas accès à l’eau potable (ce qui en chiffre absolu laisse présager entre 2 et 3 milliards d’êtres humains en manque d’eau potable à l’horizon 2030). [Les Objectifs de Développement du Millénaire (en anglais, Millennium Development Goals – MDG) ont été étendus en 2002, lors du Sommet mondial sur le développement durable, à la question de l’assainissement, avec ici aussi l’objectif de réduire de moitié, d’ici 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’assainissement.] Si l’engagement pouvait paraître louable – et raisonné (en évitant par avance de reproduire l’échec de la Décennie internationale de l’eau potable et de l’assainissement, 1980-1990) –, il est surtout apparu aux yeux de beaucoup comme particulièrement cynique. Si l’eau est symbole de vie par excellence, elle est aussi la ressource qui symbolise le mieux les déséquilibres planétaires.
55 % de l’eau douce disponible à l’échelle mondiale sont aujourd’hui chaque année utilisés. À consommation égale, ce taux de prélèvement devrait s’élever à 70 % d’ici 2025 du seul fait de la croissance démographique. Mais si la consommation devait atteindre partout le niveau des pays développés, il passerait dès lors à 90 %, a estimé le Fonds des Nations unies pour la population. Ce taux atteint et excède déjà les 100 % en Israël, en Libye, dans la péninsule arabique, à Djibouti, ou encore dans certaines régions du sud-ouest des États-Unis. Plus grave, l’Arabie Saoudite extrait de ses nappes phréatiques un volume d’eau dix fois supérieur à celui permettant leur renouvellement. À comportements inchangés, la "crise de l'eau" sera inévitable et aiguë. [L’UNESCO a élaboré un index mondial du "stress hydrique" qui définit l’ampleur du risque de pénurie d’eau par croisement entre les quantités d’eau douce consommée et la ressource disponible. Au-delà de 40 % le stress est qualifié d’élevé, l’eau étant utilisée à un rythme plus rapide que son taux naturel de renouvellement.]
Irrigation à grands frais
La "révolution verte" accomplie dans la seconde moitié du XXe siècle a permis de nourrir une population mondiale en pleine croissance, mais la facture est lourde pour l’environnement. La mécanisation, le recours croissant aux engrais et aux pesticides, l’irrigation massive, la sélection de variétés plus performantes ont fait exploser les rendements. Résultat : alors qu’un agriculteur français nourrissait sept personnes en 1960, il en nourrit aujourd’hui quatre-vingt. Si l’agriculture représente 70 % de l’eau prélevée chaque année dans le monde, ce taux dépasse 90 % en Chine, en Inde ou encore au Mexique. Les surfaces irriguées ont quasiment triplé en cinquante ans et l’alimentation de l’humanité repose désormais sur des cultures qui dépendent à 40 % de l’irrigation. La liste des méfaits imputés à cette irrigation massive est longue : pollution des eaux de surface, contamination des eaux souterraines, dégradation des sols par suite de l'engorgement et de la salinité (la salinisation touche 20 % des terres cultivées), sans compter les gaspillages, entre 20 et 60 % de déperditions selon les techniques utilisées et l’état des installations. Le coût de l’irrigation à l’hectare est aussi en moyenne deux fois plus élevé dans les pays en développement que dans les pays riches ; et pour des rendements trois fois moindres, car les techniques et matériels utilisés sont souvent archaïques. Ces faibles rendements sont particulièrement constatés dans les zones arides ou semi-arides comme la vallée de l’Euphrate ou le bassin inférieur de l’Indus.
Artère nourricière de l’Égypte, le Nil finit désormais avec peine sa course jusqu’à la Méditerranée, 90 % des eaux collectées par son bassin servant à irriguer ou à remplir les réservoirs des barrages. Le Jourdain ne déverse plus qu’un tiers de ses eaux dans la mer Morte, qui justifiera bientôt pleinement son nom. Aux États-Unis, le Colorado est si exploité et pollué que les terres jadis verdoyantes situées en aval du fleuve (dans le golfe de Californie) se sont transformées en marécages désolés. Et que dire des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria alimentant la mer d’Aral ; leurs eaux ont été détournées à 96 % pour l’irrigation du riz et du coton d’Asie centrale. Aujourd’hui cet immense réservoir, autrefois le quatrième plus grand lac du monde en superficie, a perdu 60 % de son volume. Ses eaux jadis poissonneuses ont été désertées, ses rives gorgées de sel, rendues impropres à la culture. Exténué, le Huanghe (fleuve Jaune, aussi baptisé "Douleur de la Chine") qui irrigue la plus importante région agricole chinoise, s’est retrouvé à sec dans ses parties basses pendant plus de 200 jours en 1997 ; des travaux viennent de commencer pour réapprovisionner le fleuve depuis le Yangtze (ou Changjiang, anciennement fleuve Bleu). La Chine redessine la cartographie et se joue des reliefs et des climats. Surexploitation agricole, rejets industriels, déchets urbains, etc., seuls deux des principaux fleuves mondiaux ont été épargnés et sont aujourd’hui considérés comme relativement sains : l’Amazone et le Congo.
Conséquence inéluctable de cet état des eaux superficielles, on se tourne de plus en plus massivement vers les eaux souterraines, les nappes aquifères, véritables châteaux d’eau souterrains. Phréatiques ou profondes, ces nappes ne sont ni des lacs, ni des cours d’eau souterrains, mais des roches saturées par des eaux de pluie infiltrées. Communiquant avec la surface (nappes "libres") ou prises en sandwich entre deux couches géologiques imperméables (nappes "captives"), elles fonctionnent comme des éponges. Partiellement renouvelable, ce gisement constitue 95 % de l’eau douce exploitable ; et il assure d’ores et déjà 60 % de la consommation d’eau potable, 15 % des usages domestiques et 20 % des eaux d’irrigation. C’est la principale source d’approvisionnement en eau des pays arabes ; et s’il ne constitue que 30 % de celle des pays industrialisés, sa surexploitation est déjà patente. Sur tout le pourtour de la Méditerranée, au Moyen-Orient, dans certaines régions de Chine, en Inde, en Thaïlande, comme au Mexique ou dans l’ouest des États-Unis, des captages excessifs assèchent les nappes phréatiques, accroissent leur salinité et menacent la survie des nappes profondes, dont le renouvellement peut demander plusieurs centaines, voire milliers d’années. C’est le principal reproche qui est fait au gigantesque projet engagé en Libye. Son objectif : utiliser les réserves d’eaux fossiles du Sahara pour alimenter la frange côtière du pays, plus propice à l’agriculture et où aussi se concentrent les trois-quarts de la population. 4,5 et quelques millions de mètres cubes sont ainsi chaque jour transférés depuis le fin fond du désert vers le littoral. Au-delà de son gigantisme, ce projet, baptisé Grande Rivière Artificielle et qui constitue le premier programme de transfert massif de l’eau au monde, est fortement prémonitoire. D’autres projets tout aussi colossaux sont sinon engagés, du moins à l’étude, en Chine, comme cité plus haut, mais aussi en Afrique du Sud, en Amérique, ou tout simplement en Europe, entre la vallée du Rhône et la Catalogne ou encore la Corse et la Sardaigne. Si ces projets concernent pour l’instant principalement les eaux de surface, on sait que la planète ne pourra longtemps ignorer ses ressources cachées : les eaux souterraines. Pour la Libye, le Grande Rivière Artificielle est aussi fortement symbolique : c’est "l’Homme qui a forcé l’eau". Une rupture sans doute définitive avec un mode de vie ancestral. 85 % des Libyens vivent aujourd’hui en ville.
Mégalopoles assoiffées
Le défi de la démographie est rendu encore plus pressant par l’urbanisation galopante qui est à l’œuvre, tout particulièrement dans les pays en développement. En 1955, 68 % de la population de la planète vivaient en zone rurale, 32 % en zone urbaine ; en 1995, ces chiffres étaient passés respectivement à 55 % et 45 %, et ils devraient être en 2025 de 40 % et 60 %. La planète comptera alors une quarantaine de mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants, et sans doute un demi millier de villes de plus de 1 million de résidents. Ces mégalopoles doivent se procurer toujours plus d’eau, et pour cela vont la chercher toujours plus loin ou plus profond. Des pompages excessifs ont déjà provoqué des affaissements de terrain, à Bangkok, Djakarta ou Mexico qui s’est enfoncée de plus de 10 mètres en soixante-dix ans. Shanghai connaît une situation similaire. Paris, qui consomme 680 millions de litres d'eau potable par jour, va capter la moitié de son approvisionnement dans des sources situées à Sens, Provins, Fontainebleau et Dreux. Stuttgart va aussi chercher son eau à 200 kilomètres, dans le lac de Constance ; cette eau est montée à plus de 300 mètres au dessus du lac où une usine de traitement la prépare et l'envoie par canalisation jusqu'au berceau de Mercedes. Madrid dépend d'un réseau complexe, comportant une quinzaine de barrages-réservoirs, une dizaine de stations de pompage, 500 kilomètres de canaux et plus de 5 000 kilomètres de canalisations. En Afrique, Dakar est reliée par un cordon ombilical de 200 kilomètres au fleuve Sénégal. En Amérique, New York va chercher son eau à 200 kilomètres dans les Appalaches, une eau qui est d’ailleurs transportée dans des tunnels en béton atteignant 5 mètres de diamètre et plongeant parfois à 300 mètres sous terre. En 2008, à Pékin, c’est grâce au fleuve Bleu, situé à plus de 1 000 kilomètres au sud, que les athlètes des J.O. prendront leur douche. Tout laisse à penser que le pire est à venir. Les nouveaux besoins, domestiques et industriels, des mégalopoles de demain vont faire croître la demande en eau dans des proportions considérables, au détriment bien sûr de l’agriculture et des populations rurales. En Chine, des "experts" ont par exemple d’ores et déjà estimé que la valeur économique et le nombre d’emplois induits par un seul mètre cube d’eau "industrielle" sont 70 fois supérieurs à ceux d’un mètre cube d’eau "agricole". C’est dire l’âpreté des arbitrages qui s’annoncent…
L’eau, source de conflits ?
"La prochaine guerre au Moyen-Orient aura l'eau pour cause", déclarait Boutros Boutros-Ghali. C’était bien avant 1991 (en 1974, au lendemain du premier choc pétrolier) et même si certains experts ont récemment tenu à souligner les enjeux cachés de l’eau en Irak, force est d’admettre que la guerre de l’eau n’a pas encore eu lieu. C’est autant pour les titres aguicheurs qui prennent épisodiquement d’assaut les présentoirs des kiosques. La ressource génère néanmoins de vives tensions dans un grand nombre de régions du globe. Le Proche-Orient est à l’évidence l’une des zones à plus hauts risques comme sont venus le rappeler il y a plus d’un an les menaçants échanges verbaux entre le Liban et Israël à propos de la construction d’un système d'adduction à partir du Ouazzani, pourtant très mince affluent du Hasbani. Le différend demeure bien sûr un élément de fond du conflit israélo-palestinien ; alors qu’un peu plus au nord de la région, la Turquie entretient savamment un conflit latent avec ses voisins syrien et irakien à propos du Tigre et de l’Euphrate. 261 bassins hydrographiques sont internationaux et 145 nations ont des territoires sur des bassins partagés. Un tiers environ de ces bassins implique plus de deux pays, et une vingtaine en impliquent cinq ou plus ; le Nil compte à lui seul 9 pays riverains même si l’Égypte et le Soudan se répartissent entre eux 90 % du débit annuel du fleuve, en vertu d’un traité signé en 1959. [Les neuf pays riverains du Nil : Burundi, Congo (RDC), Égypte, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan et Tanzanie.] La question est encore plus complexe en ce qui concerne les aquifères, systèmes par nature eux-mêmes beaucoup plus complexes que les systèmes fluviaux alors que dans le même temps les gouvernements n'admettent qu'avec réticence que ces aquifères – dont dépendent souvent leurs populations pour la consommation en eau potable et pour l'irrigation – puissent être partagés par d'autres pays. La question d’éventuels conflits autour de l’eau est en tout cas suffisamment préoccupante pour que l’UNESCO ait décidé de créer une structure de médiation qui, au terme d’un premier recensement, a enregistré une vingtaine de bassins "à risques". [Les bassins représentant des "potentiels de disputes" dans les 5 à 10 ans à venir sont : Gange-Brahmapoutre, Han, Incomati, Kunene, Kura-Araks, Lac Tchad, La Plata, Lempa, Limpopo, Mékong, Ob (Ertis), Okavango, Orange, Salween, Sénégal, Tumen et Zambèze. Quatre autres bassins se trouvent au cœur de "négociations constructives" : Aral, Jourdain, Nil, Tigre-Euphrate. PC-CP, From Potential Conflict to Co-operation Potential, World Water Assessment Programme, UNESCO.]
Hier en Bolivie, à Cochabamba, aujourd’hui en Afrique, au Ghana, les mouvements contre la privatisation de l’eau s’organisent, à l’appui parfois de puissantes ONG internationales à l’instar de Public Citizen aux États-Unis. Et même isolés, et mal desservis par un service public, payant mais déficient, les villageois n’hésitent plus à se rebeller, au besoin armés de bâtons, à l’exemple des émeutes survenues tout au long de l’année dernière dans plusieurs wilayas du centre de l’Algérie – et qui, il s’en ait fallu de peu, auraient pu se reproduire dans les banlieues populaires d’Alger –. Étant donné les investissements requis, notamment dans les zones péri-urbaines des pays en développement – où les pauvres paient leur eau à des revendeurs ambulants jusqu’à sept fois plus cher que les résidents des quartiers chics, connectés au réseau municipal – les tensions ne peuvent que s’aggraver.
L’eau en quête d’un statut…
Une contribution importante du 3ème Forum mondial de l’eau (Kyoto, Japon, mars 2003) aura probablement été le rapport Financer l'eau pour tous du panel Camdessus. La qualité du président, ex-directeur du Fonds monétaire international, n'est sans doute pas étrangère à la réaction suscitée auprès de nombreuses ONG qui ont d'emblée rejeté le travail, craignant la mainmise du secteur privé sur l'eau. Mais paradoxalement nombre de gouvernements et d’institutions internationales font aujourd’hui obstacle au rapport qui préconise d’importants changements politiques, et notamment la nécessaire décentralisation des politiques de l'eau. La critique des ONG se focalise plus directement sur le concept de partenariat public-privé (PPP). Le concept est apparu clairement lors du précédent forum de La Haye, en mars 2000 ; il a ensuite été "officialisé" lors de la Conférence ministérielle de Bonn, en décembre 2001, puis porté au public lors du Sommet de Johannesburg qui restera dans les annales comme "le Sommet des partenariats". Les PPP visent à être un levier pour attirer les investissements privés ; comme le précise le rapport Camdessus, ils "imposent de rendre l'eau plus attrayante aux yeux des investisseurs (et, pour ce faire) un cadre réglementaire et juridique adapté, des modalités contractuelles transparentes, des mécanismes de récupération des coûts fiables et l'acceptation par le grand public". Les opposants "doutent" profondément (le mot est faible) de la transparence ici énoncée. Selon eux, les PPP sont seulement un instrument de plus au service de la Banque mondiale et des investisseurs privés pour investir de nouveaux marchés. C'est de fait par le biais de mécanismes de la sorte que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont favorisé depuis vingt-cinq ans la prise de contrôle par les multinationales de la plupart des ressources naturelles en Afrique, en Amérique latine ou en Asie. En définitive, les PPP favoriseraient surtout la marchandisation de l’eau, ou comme se plait à le dénoncer Riccardo Petrella, farouche opposant à la politique énoncée et initiateur du Contrat mondial de l’eau, la "pétrolisation de l’eau". [À propos du débat sur les PPP – partenariats public-privé, voir les deux points de vue opposés de : Pierre JACQUET, Promouvoir les partenariats public-privé, et Riccardo PETRELLA, Pour un nouveau PPP : partenariat public-public – H2o, Forum mondial de l'eau de Kyoto]
C’est ici l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui est visé. Les "World Water Warriors" – rejoints par de nombreux chercheurs et ONG – réclament que l'eau soit exclue de l’Accord. À ce stade du débat – tout juste émergeant – les enjeux sont encore mal identifiés par le grand public ; il s’agit en l’occurrence d’interdire la vente d’eau "en vrac". Il y a quelques décennies, on s’était plu à évoquer le remorquage d'icebergs vers les riches pays du Golfe arabo-persique, ce n’est plus de cela dont il est exactement question, encore qu’il s’agisse de transferts, sur longues distances, de quantités massives d’eau. Que ce soit en matière d'évaluation des réserves, notamment dans le cas des aquifères souterrains, ou d'exploitation des gisements, ou encore de transport proprement dit, les méthodes et technologies demandent seulement d'être peaufinées pour être rentables. Mais l’idée n’est plus du domaine de la science-fiction. Néanmoins si les projets fascinent les ingénieurs et les stratèges, le grand public se montre d’emblée assez réticent sur la question. Tout le monde sent bien qu'il y a là quelque chose de fondamentalement "contre-nature", mais tout comme la question du droit à l'eau, les choses restent confuses.
La Déclaration signée à Kyoto par une centaine de ministres et hauts fonctionnaires quelques jours après le début de la guerre d’Irak ne contient rien sur le droit à l’eau, alors que celui-ci a été explicitement énoncé en novembre 2002 par le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels [Observation générale n° 15 énoncée par le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels. Voir à ce sujet l’article de Henri SMETS, du Conseil européen du droit de l’environnement, Le droit à l’eau au forum de Kyoto, H2o, Forum mondial de l'eau de Kyoto]. En réalité, le droit à l’eau est "politiquement incorrect" en ce sens qu’il imposerait des obligations excessives à certains pays et que sa reconnaissance pourrait avoir des incidences juridiques insoupçonnées. Cette résistance institutionnelle agace les "altermondialistes de l’eau". Outre l'exclusion de l'eau des négociations de l'OMC/AGCS (s'agissant de l'eau, synonymes d'une "marchandisation de la vie"), leurs revendications s’orientent aujourd’hui vers la création d'une Autorité mondiale de l’eau, constituée sur des bases démocratiques et représentatives, et recouvrant les trois compétences : législative (un Parlement mondial de l’eau, chargé d’élaborer et d’approuver les règles mondiales de base pour une valorisation et une utilisation solidaires et durables du bien eau) ; juridictionnelle (un Tribunal mondial de l’eau, organe de résolution des conflits en matière d’utilisation de l’eau) et de contrôle (une Agence d'évaluation et de suivi des financements publics pour des projets d’actions communes, internationales et mondiales). Il y a là incontestablement matière à réfléchir, discuter, programmer. L'enjeu : trouver un statut à l'eau, pour agir – et si possible vite. [Voir à ce sujet le mondial de l’eau, proposé par l’association ACME ; ainsi que les Propositions et engagements Pour une autre politique de l’eau, issus du 1er Forum alternatif mondial de l’eau, Florence, 21-22 mars 2003.]
… et d’un effort de solidarité
Si à Kyoto, comme à Johannesburg quelques mois plus tôt, la solidarité internationale était au cœur des débats, elle ne s'est pas pour autant concrétisée. Au niveau international, l'eau représente moins de 10 % de l'aide publique au développement, soit environ 4,5 milliards de dollars par an pour l'approvisionnement et l'assainissement. Ce qui est peu, et surtout très peu relativement aux investissements requis, dans une fourchette large estimés à 100 milliards de dollars additionnels par an. [En termes absolus le montant des investissements requis ont été évalués à 180 milliards de dollars par an pendant dix ans (rapport Camdessus – soit par rapport aux investissements actuels, 100 milliards de plus par an). De nombreux spécialistes s'accordent sur un montant moindre, à condition que les investissements soient mieux orientés, aux niveaux local et technologique notamment.] Une telle accélération des investissements n'est concevable que si l'eau devient une plus grande priorité gouvernementale dans les pays en développement et si l'aide internationale pour l'eau augmente de façon très sensible. Aussi importants qu’ils paraissent les chiffres sont cependant à relativiser : 100 milliards de dollars par an, pendant 10 ans, cela fait... exactement le montant des dépenses militaires annuelles mondiales. Si certains répugnent à ce style de comparaison, il y a là tout de même pour l'eau de quoi se faire amère. Mais le saviez-vous, l'eau serait peut-être schizophrène ? Les propriétés physiques de l’eau à l’état liquide ne respectent pas les lois établies pour les autres éléments liquides. Depuis plus d'un siècle, des physiciens soupçonnent que la cause en est un dédoublement de la structure de l'eau. Encore aujourd'hui, ils discutent... Schizophrène ? Avouez qu’on le serait à moins. .