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Rapport de l'OMS
L'eau et la santé : prendre les choses en mains
Nous ne pouvons nous offrir le luxe d’attendre que d’importants investissements d’infrastructure soient faits pour approvisionner en eau tous ceux qui en ont besoin et mettre à leur disposition des services d’assainissement élémentaires.
Plus d’un milliard d'êtres humains boivent une eau insalubre et 2,4 milliards de personnes, soit 40 % de l’humanité, ne disposent pas de services d’assainissement adéquats ; 3,4 millions de personnes, principalement des enfants, meurent chaque année de maladies liées à l’eau (dont plus d’un million du seul paludisme), alors que ces décès sont dans leur majorité évitables. Mais la situation est loin d'être sombre et sans espoir, indique l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dans un rapport sur l’eau et l’assainissement publié ici à la veille de la Journée mondiale de l’Eau, ce jeudi 22 mars.
"Bien entendu, un problème d'une telle ampleur ne saurait être résolu du jour au lendemain, mais des mesures simples et peu coûteuses peuvent être prises à la fois individuellement et collectivement pour mettre de l’eau salubre à la disposition de millions de personnes dans les pays en développement – et ce maintenant et non dans dix ou vingt ans", déclare le Dr Gro Harlem Brundtland, Directeur général de l’OMS. "Nous ne pouvons nous offrir le luxe d’attendre que d’importants investissements d’infrastructure soient faits pour approvisionner en eau tous ceux qui en ont besoin et mettre à leur disposition des services d’assainissement élémentaires. Il serait insensé et inacceptable de ne pas tenir compte des priorités immédiates des plus nécessiteux."
Tout à la fois optimiste et réaliste, le rapport de l’OMS, intitulé "L’eau et la santé – prendre les choses en main", préconise vivement plusieurs mesures élémentaires, dont notamment la purification de l’eau (chloration et sodis) et l’amélioration de l’hygiène, comme moyens immédiats pour mettre une eau meilleure à la disposition des habitants des pays en développement. La chloration, par exemple, est selon ce rapport "un moyen éprouvé pour éliminer les micro-organismes présents dans l’eau des canalisations". En outre, des recherches effectuées par les Centers for Disease Control and Prevention (Atlanta, Georgia) et par l’Organisation panaméricaine de la Santé ont montré qu’il est souhaitable de chlorer l'eau dans les logements ne disposant pas de l'eau courante, bien que l’on considère généralement que la chloration doit suivre et non précéder la mise en place de services d’approvisionnement en eau et d’assainissement. "Nous avons cherché comment mettre de l’eau chlorée à la disposition des ménages défavorisés en faisant appel à un traitement simple et peu coûteux et à une méthode de stockage sûre", déclare Mark Sobsey, Professeur de microbiologie environnementale à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill. "L'une de nos conclusions a été que veiller à une meilleure qualité de l’eau est efficace en soi et que cela peut être fait sans améliorer l’assainissement". "Nous savons maintenant que même dans des conditions d’hygiène et d’assainissement très médiocres, lorsque les gens recueillent pour leur usage ménager n'importe quelle eau pourvu qu'elle leur soit accessible mais que cette eau est chlorée, elle est améliorée du point de vue microbiologique et l’on constate une diminution statistique importante des affections diarrhéiques". On trouve un bon exemple de chloration réussie aux Maldives, où a été mis en œuvre un programme national de lutte contre la diarrhée faisant appel à la chloration dans les puits et dans les sels de réhydratation, les eaux de pluie étant également recueillies pour la boisson. Vingt ans après le lancement de ce programme, la totalité des Iles Maldives sont dotées de réservoirs communautaires pour la collecte des eaux de pluie, et les décès par diarrhée y sont pratiquement inconnus.
"Il existe une autre technique immédiatement utilisable, d’un bon rapport coût/efficacité, applicable à petite échelle et facile à mettre en œuvre, qui permet d’obtenir de l’eau salubre individuellement ou collectivement ; il s’agit d’une technique solaire thermique encore peu connue mais très efficace, qui porte le nom de SODIS et qui a été mise au point par l’Institut fédéral suisse des Sciences et Techniques de l’Environnement de Duebendorf, près de Zurich", indique le Dr Jamie Bartram, Coordonnateur du Programme Eau, Assainissement et Santé de l’OMS, qui a publié ce rapport. "Le procédé SODIS de désinfection solaire de l’eau ne coûte pratiquement rien puisque la lumière solaire est gratuite et que les seuls autres éléments nécessaires sont des bouteilles en plastique jetables et une surface noire", explique Martin Wegelin, chercheur à l’Institut fédéral suisse des Sciences et Techniques de l’Environnement. Des bouteilles transparentes sont remplies d’eau et disposées horizontalement sur une surface plane pendant environ cinq heures. Les micro-organismes pathogènes présents dans l’eau polluée ne résistent pas à l’action destructrice de la lumière ultraviolette du rayonnement solaire. L’efficacité du processus est encore plus grande lorsque la désinfection solaire de l’eau est associée à un "traitement thermique solaire" tirant parti du fait que la couleur noire absorbe la lumière. Le résultat recherché est obtenu en peignant en noir la moitié inférieure de la bouteille ou en la plaçant sur de la tôle ondulée ou des feuilles de plastique peintes en noir. "Des études effectuées sur le terrain en Bolivie, au Burkina Faso, en Chine, en Colombie, en Indonésie, en Thaïlande et au Togo montrent que le procédé est efficace", est-il indiqué dans le rapport.
Une troisième recommandation formulée dans le rapport en appelle à un "changement dans les comportements". "Nos recherches ont montré qu’en se lavant les mains au savon, on préviendrait probablement à réduire sensiblement les décès par maladie diarrhéique", affirme Valérie Curtis, qui enseigne la promotion de l’hygiène à la London School of Hygiene and Tropical Medicine ; "il suffit d’avoir du savon et d’être motivé. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire". Une étude menée durant trois ans en Inde, en Afrique de l’Ouest, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas a montré que la démarche traditionnelle consistant à tenter de modifier les comportements en "sermonnant et en faisant la morale" ne marche pas. Les gens se butent s’ils s’entendent dire "Vous allez tomber malade ou mourir si vous continuez à vous complaire dans la saleté". Mme Curtis rapporte que des Brésiliens ont refusé de participer à un programme de prévention du choléra parce qu’ils avaient l'impression qu'on les accusait d’être des "malpropres". Elle ajoute : "Dans le cadre d’un projet mené pendant trois ans à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, nous avons adopté une démarche positive fondée sur la motivation, de telle sorte qu’à la fin, les gens utilisaient trois fois plus de savon". Des études sur la diarrhée montrent que le simple fait de se laver les mains à l'eau et au savon diminue l’incidence de la maladie de 35 %. Ailleurs, grâce à une bonne gestion de l’eau, on a quasiment éradiqué le ver de Guinée, cause d'une "maladie horriblement déformante et invalidante" qui affligeait 50 millions de personnes en Afrique et en Asie au milieu du 20ème siècle. En 1999, leur nombre était tombé à moins de 100 000.
Phénomène diamétralement opposé, la mauvaise gestion des eaux d’irrigation a conduit à une dramatique propagation de la schistosomiase (bilharziose) dans des régions du monde où elle était inconnue auparavant. L’OMS estime que 200 millions de personnes sont aujourd’hui atteintes de schistosomiase. Que faire d’autre pour prévenir les maladies liées à l’eau et faire en sorte que chacun ait accès à au moins une certaine quantité d’eau salubre et à des services d’assainissement ? Tout d’abord, préconise le rapport de l’OMS, le secteur de la santé doit être pleinement associé à la gestion de l’eau, laquelle ne peut plus être l’apanage des seules autorités chargées de la gestion de l’eau ou des ministères de l’environnement. De même que les grands projets de développement sont toujours assortis d’une évaluation de leur impact sur l’environnement, ils devraient aussi s’accompagner obligatoirement d’une évaluation de l’impact sur la santé. Ceux qui s’occupent de la gestion de l’eau doivent être responsables de ses effets sur la santé de la population. Au cours du dernier demi-siècle, on a fortement mis l’accent sur les interventions médicales et notamment, par exemple, sur le recours aux médicaments : cela a eu tendance à reléguer au second plan et à faire considérer comme moins prioritaires l’approvisionnement en eau potable et la fourniture de services d’assainissement adéquats. Alors que se développement les résistances aux antibiotiques, aux insecticides et aux médicaments classiques, les autorités sanitaires mesurent mieux les limites d’une approche exclusivement médicale. Dès lors, disposer d’une eau salubre et de services d’assainissement devient une préoccupation plus importante que jamais. "La société est généralement au fait des avantages que présente le développement pour la santé. La contribution de la santé au développement n’est en revanche guère reconnue. Le moment est venu d’inverser la perspective, et il est grand temps de prendre conscience que l'approvisionnement en eau salubre et l'existence de services d’assainissement adéquats permettant de protéger la santé figurent parmi les droits de l’homme fondamentaux", a déclaré le Dr Brundtland. .