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World Water Forum II
L'eau : besoin fondamental ou droit de l'homme ?

Mots clés : Commission Mondiale de l'Eau, Eau besoin fondamental, droit à l'eau, Forum mondial de l'eau, La Haye, Gestion Intégrée des Ressources en Eau, Integrated Resources Management
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Dossier de
Martine LE BEC et Nicole MARI
  
February 2000
Index du dossier
1. Vers la consécration du droit à une eau potable ?
2. 180 millions de dollars par an, sinon...
3. Ouvrir le champ à l'action communautaire, l'interview de Ismail Serageldin
4. La Haye : le Forum de la dernière chance, l'interview de Bill Cosgrove
5. La "conquête" de l'eau par les intérêts privés, l'interview de Riccardo Petrella
6. L'eau, enjeu de premier plan pour l'Afrique

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La Haye, symbole d'une nouvelle "conquête" de l'eau par les intérêts privés

Riccardo PETRELLA
professeur à l'Université Catholique de Louvin
conseiller à la Commission Européenne
Riccardo Petrella est aussi fondateur et secrétaire du Comité Mondial de l'Eau
présidé par Mario Soarès et auteur du Manifeste de l'Eau

propos recueillis par Martine LE BEC-CABON

 

Quel est votre sentiment sur La Haye ?

Comme il fallait s'y attendre, La Haye s'inscrit dans le cadre de la nouvelle "conquête de l'eau", une approche prônant les trois principes de la marchandisation, de la privatisation et de l'intégration oligopolistique mondiale. On a assisté, depuis le début des années 90, à la mise en place d'une sorte d'état-major mondial de l'eau. Même si formellement, les entreprises privées sont seulement représentées dans les différentes structures – le Conseil Mondial de l'Eau, puis la Commission Mondiale de l'Eau pour le 21ème siècle, et le GWP, Global Water Partnership – le monde des affaires et de la finance est omniprésent par l'intermédiaire d'"experts" qui, dans la plupart des cas, lui sont liés. Le capital privé est ainsi solidement installé dans les sphères de décision... Inutile donc de s'étonner d'entendre ici un seul et même discours qu'on nous répète à l'envie : "tout ce qui a un coût doit avoir un prix". Ces gens ne peuvent naturellement reconnaître qu'une communauté sociale implique des coûts qui doivent être assurés collectivement, par l'impôt, et qui plus est doivent être considérés comme des enrichissements : l'école, les infrastructures routières ou l'eau entrent dans ce cadre. A-t-on jamais eu idée de dire que si l'on dépense 1 milliard de francs dans la construction d'écoles, ces infrastructures devront à terme rapporter 1,2 milliard ? Cette politique est néanmoins en parfaite cohérence avec de déréglementation et la privatisation – aujourd'hui en vogue – des services publics de base. Concernant l'eau, cette privatisation de l'ensemble des services (captation, épuration, distribution, conservation et traitement) va de pair avec le concept de "gestion intégrée des ressources" (l'IWRM en anglais) proposée par le GWP : assurer la gestion rationnelle de la ressource par la "juste rénumération" de l'investissement, ce qui permettra – nous dit-on – de réduire les gaspillages et de lutter contre la pollution et la contamination. Dans cette perspective, nous dtit-on, la gestion publique se révèlera de plus en plus inadéquate. Il conviendra donc de la transférer aux entreprises privées, selon notamment le modèle français de gestion déléguée. L'approche implique un prix, le "prétendu" juste prix. Il s'agit du "full cost recovery", en d'autres mots la fixation d'un prix de marché au coût total des prestations fournies. Si les pays européens avaient appliqué dans le passé ce principe, ils en seraient encore à chercher comment assurer l'accès par tous à l'eau potable !


La Commission Mondiale définit néanmoins l'eau comme un besoin fondamental (un "besoin humain et social de base"). Elle pose aussi le principe de la responsabilité des États vis-à-vis notamment des plus pauvres...

Entre besoin fondamental et droit fondamental, il y a une marge. Ce n'est d'ailleurs pas innocemment que les rédacteurs du projet et en final la déclaration ministérielle ont opté pour cette notion de besoin. De leur point de viue, considérer l'eau comme un droit aurait entraîné des obligations et des restrictions trop contraignantes pour la "liberté" des acteurs, étatiques et privés.


Quels sont les principes que vous-même vous préconisez, au sein du groupe de Lisbonne ?

Premier principe : le financement du minimum vital par la collectivité. Deuxième principe : la définition d'un prix pour toute consommation exédentaire et la condamnation des abus. La gestion protectrice de l'eau ne passe pas par la définition d'un "prix fort", synonyme de passe-droit pour ceux qui en auraient les moyens. C'est ici l'idée de délit de très grand vitesse qu'il faut retenir, l'infraction entraînant une amende mais surtout le retrait immédiat du permis. Il faut de la même façon rejeter le principe de "pollueur-payeur". Nous préconisons par ailleurs la constitution d'un "réseau de parlements de l'eau" : à l'échelon local et international. L'idée est déjà à l'oeuvre en Belgique où ont été instaurés des "contrats de rivières". Tous les intervenants concernés y participent, ce qui permet de dégager progressivement de nouveaux consensus. À l'échelon international, la solution permettrait d'instaurer un nouveau dialogue, nous semble-t-il plus apte à garantir la paix que les mécanismes du marché. Au-delà, on peut imaginer l'idée d'un parlement mondial de l'eau, un peu à l'exemple de ce qui a été réalisé à La Haye mais avec des panels et des organes d'orientations qui n'auraient pas été cooptés comme cela a ici été le cas.


Est-ce que ce combat que vous menez n'est pas un peu tardif : dans quinze ans la moitié de la planète va manquer d'eau et – bonnes ou mauvaises – les grandes orientations ici définies ont toutes les chances de l'emporter... ?

Il n'est jamais trop tard pour combattre pour le droit de tous à la vie. Dans quinze, vingt ou vingt-cinq ans, l'eau sera peut-être entièrement gérée par des mécanismes de marché, mais il y aura toujours des hommes et des femmes pour défendre l'accès de tous à la ressource. .