Dossier de Martine LE BEC et Nicole MARI   |
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February 2000 | |
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La Haye, symbole d'une nouvelle "conquête" de l'eau par les intérêts privés
Riccardo PETRELLA propos recueillis par Martine LE BEC-CABON Quel est votre sentiment sur La Haye ?Comme il fallait s'y attendre, La Haye s'inscrit dans le cadre de la nouvelle "conquête de l'eau", une approche prônant les trois principes de la marchandisation, de la privatisation et de l'intégration oligopolistique mondiale. On a assisté, depuis le début des années 90, à la mise en place d'une sorte d'état-major mondial de l'eau. Même si formellement, les entreprises privées sont seulement représentées dans les différentes structures – le Conseil Mondial de l'Eau, puis la Commission Mondiale de l'Eau pour le 21ème siècle, et le GWP, Global Water Partnership – le monde des affaires et de la finance est omniprésent par l'intermédiaire d'"experts" qui, dans la plupart des cas, lui sont liés. Le capital privé est ainsi solidement installé dans les sphères de décision... Inutile donc de s'étonner d'entendre ici un seul et même discours qu'on nous répète à l'envie : "tout ce qui a un coût doit avoir un prix". Ces gens ne peuvent naturellement reconnaître qu'une communauté sociale implique des coûts qui doivent être assurés collectivement, par l'impôt, et qui plus est doivent être considérés comme des enrichissements : l'école, les infrastructures routières ou l'eau entrent dans ce cadre. A-t-on jamais eu idée de dire que si l'on dépense 1 milliard de francs dans la construction d'écoles, ces infrastructures devront à terme rapporter 1,2 milliard ? Cette politique est néanmoins en parfaite cohérence avec de déréglementation et la privatisation – aujourd'hui en vogue – des services publics de base. Concernant l'eau, cette privatisation de l'ensemble des services (captation, épuration, distribution, conservation et traitement) va de pair avec le concept de "gestion intégrée des ressources" (l'IWRM en anglais) proposée par le GWP : assurer la gestion rationnelle de la ressource par la "juste rénumération" de l'investissement, ce qui permettra – nous dit-on – de réduire les gaspillages et de lutter contre la pollution et la contamination. Dans cette perspective, nous dtit-on, la gestion publique se révèlera de plus en plus inadéquate. Il conviendra donc de la transférer aux entreprises privées, selon notamment le modèle français de gestion déléguée. L'approche implique un prix, le "prétendu" juste prix. Il s'agit du "full cost recovery", en d'autres mots la fixation d'un prix de marché au coût total des prestations fournies. Si les pays européens avaient appliqué dans le passé ce principe, ils en seraient encore à chercher comment assurer l'accès par tous à l'eau potable !
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