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Ouvrir le champ à l'action communautaire
Ismail SERAGELDIN
vice-président de la Banque mondiale
président de la Commission Mondiale de l'Eau
C'est Ismail Serageldin qui, en 1993, a initié la notion d'approche holistique de l'eau
propos recueillis par Martine LE BEC-CABON
Est-ce que La Haye aura permis des avancées significatives ?
Plus de 4 300 personnes se sont retrouvées ici, organisées par groupes géographiques ou thématiques. La société civile a aussi largement contribué à la préparation du Forum au travers d'un vaste processus de consultation qui a mobilisé plus de 15 000 personnes. L'important était de faire en sorte que La Haye ne soit pas un débat de spécialistes mais un débat de société imposant l'enjeu de l'eau comme grand défi mondial. Pour beaucoup les notions de "gestion de bassin" ou de "privatisation" sont encore floues. La Haye va poser les termes du débat et permettre de dégager de nouvelles orientations. Il s'agit de définir les actions à engager, le cadre administratif et législatif qui facilitera cette action et les structures à mettre en place, notamment pour favoriser la mobilisation des communautés locales.
Mais vous appuyez fortement en faveur de la privatisation...
Les investissements à réaliser sont urgents et colossaux. Les gouvernements ne seront pas à même de financer cet effort. Certaines ONG, nous reprochent d'inciter les gouvernements à "abdiquer", de leur enlever le droit de subventionner l'eau de leurs citoyens. Mais il faut comprendre qu'en réalité, les gouvernements n'ont jamais rien donné : les subventions qu'ils accordent ne profitent généralement qu'aux riches, les réseaux installés n'atteignant jamais les quartiers les plus défavorisés. En réalité, les subventions actuelles sont perverses. D'autre part, nous ne prônons pas le désengagement des gouvernements, nous les encourageons seulement à confier la gestion de l'eau à des opérateurs privés, capables d'en assurer le risque économique, et ceci dans un cadre réglementaire prédéfini. Des systèmes similaires ont un peu partout été mis à l'oeuvre dans les secteurs des télécommunications, des transports ou de l'énergie.
Mais avec une autre rentabilité...
Le vrai problème de l'eau est effectivement un problème de rentabilité...ou d'absence actuelle de rentabilité. La solution passe de toute façon par la vérité des prix, les subventions devant se limiter aux populations les plus pauvres. Ce sera ici aux gouvernements de cibler leurs interventions.
Qui seront réellement les maîtres du jeu, sinon les opérateurs privés ?
Les grandes compagnies couvrent aujourd'hui 5 % au plus du marché mondial de l'eau. À supposer qu'elles quadruplent leur part de marché, elles ne seront pas maîtresses du jeu pour autant. Nous préconisons au contraire la mise en place de structures de concertation à l'exemple français des agences de bassins. Il faut ouvrir le champ à l'action communautaire, qui n'a pour l'instant jamais été encouragée.
Quel sera maintenant le rôle de la Commission Mondiale ?
La Commission Mondiale n'est qu'une instance de concertation et d'impulsion. Nous ne dictons rien, nous suggérons. En réalité nous essayons d'expliquer aux gens : "Engagez-voous et trouvez vos propres solutions". On me parle souvent d'un éventuel secrétariat mondial de l'eau ou d'une instance de la sorte. Mais, y-at-il un secrétariat de l'environnement ? Non, parce que l'environnement c'est l'affaire de tous ; la multitude et la diversité des réseaux qui y travaillent sont là pour en témoigner. Et en définitive, ce sera sans doute là le principal succès du Forum : d'avoir favoriser la constitution de multiples réseaux d'ONG, de groupements économiques, de journalistes et de femmes (dans les pays en voie de développement, ce sont elles qui consacrent quatre heures de leur journée de travail à aller chercher l'eau)... Ce sont tous ces réseaux qui devront maintenant assurer le suivi de l'action, partout dans le monde. Ce qu'il faut, c'est changer les attitudes et dépasser les slogans : agir, et surtout agir en local. .
LE FINANCEMENT DE L'EAU
L'eau représente chaque année 60 milliards de dollars d'investissements
dans les pays en voie de développement. Cet investissement est financé
par des fonds nationaux à hauteur de 90 %, les financements extérieurs
ne s'élevant qu'à 6 milliards de dollars, dont 3 pour la Banque
mondiale.
Les engagements de la Banque mondiale s'élèvent aujourd'hui à 20
milliards de dollars sur l'ensemble des projets relatifs à l'eau :
environ 4,8 milliards pour l'approvisionnement et l'assainissement
urbain ; 1,7 milliard pour l'approvisionnement et l'assainissement
rural ; 5,4 milliards pour les programmes d'irrigation et de drainage ;
1,7 milliard pour la production d'énergie et 3 milliards pour les
projets environnementaux.
La répartition régionale de ces financements s'établit comme suit : Afrique 7 % – Moyen-Orient et Afrique du Nord 8 % – Europe et Asie centrale 10 % – Asie de l'Est et Pacifique 36 % – Asie du Sud 20 % – Amérique latine et Caraïbes : 19 %.