Page 2 sur 6
180 millions de dollars par an, sinon rien...
Les recommandations de la Commission Mondiale de l'Eau
Plus d'un milliard d'individus n'ont pas accès à une eau saine, plus de trois milliards ne disposent d'aucun réseau d'assainissement, six millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à des eaux contaminées. Les chiffres sont déjà suffisamment alarmants. Dans les vingt prochaines années, on estime que l'utilisation de l'eau dans le monde augmentera de 40 % environ, 17% d'eau supplémentaires seront nécessaires pour subvenir aux seuls besoins agricoles d'une population mondiale en augmentation rapide. La planète court à la catastrophe.
La notion de "sécurité globale de l'eau" ne sera effective, prévient la Commision Mondiale de l'Eau, que le jour où "chaque être humain, dans le présent et l'avenir, aura accès à une eau saine qui couvre ses besoins alimentaires, sanitaires et énergétiques à un coût raisonnable" et où l'on s'assurera "de la distribution adéquate de l'eau, réalisée de façon équitable, en harmonie avec la nature".
En conséquence de quoi, la Commission préconise :
-
Une multiplication d'au moins par deux des investissements globaux en eau qui devraient passer de 70-80 milliards de dollars annuels à un total de 180 milliards, la majeure partie de cette augmentation provenant du secteur privé, ce qui ne présente aucun coût supplémentaire pour les gouvernements.
- Un renforcement des structures d'habilitation et de régulation pour une gestion "holistique" de l'eau, faite au niveau des bassins fluviaux, et laissant les décisions finales aux populations. "Adopter une approche holistique, cela signifie prendre ces problèmes en considération et réunir les aspects qualitatifs aux aspects quantitatifs de la gestion de l'eau. L'eau est affectée par tout, et l'eau affecte tout et tous." L'usage environnemental ne devra plus être perçu comme une entrave, mais devra au contraire faire partie intégrante du maintien du système écologique tout entier, sur lequel reposent l'ensemble des infrastructures de l'eau.La possibilité au secteur privé de prendre en charge le poids des opérations financières et des services.
- La protection des plus pauvres et de l'environnement, protection qui est de la responsabilités des gouvernements.
Outre cette approche holistique et ces processus de participation institutionnelle, le rapport en appelle également à :
-
Un coût de l'eau réaliste, qui favorise la préservation, stoppe le gaspillage, encourage l'adoption de technologies appropriées et mobilise l'investissement privé. Mais parallèlement, il faut s'engager à fournir des subventions aux plus démunis afin d'assurer un accès adéquat aux services de base.
- Le développement systématique des pratiques les plus performantes et la promotion d'innovations grâce à des aménagements tout autant technologiques que financiers et institutionnels.
"Nos comportements vis-à-vis de la gestion de l'eau doivent évoluer" annonce Ismail Serageldin, président de la Commission Mondiale sur l'Eau pour le 21ème Siècle, et vice-président de la Banque mondiale, chargé des Programmes spéciaux. "Les prises de décision doivent se faire au niveau des bassins fluviaux eux-mêmes, même si cela doit excéder des limites politiques et administratives. La participation des usagers – en particulier celle des femmes – doit être assurée dans ces prises de décision."
180 milliards de dollars d'investissements annuels
Selon la Commission, il faudrait plus que doubler les investissements annuels actuels, estimés à 70-80 milliards de dollars, pour atteindre le chiffre de 180 milliards.Ce n'est qu'à cette condition, estime la Commission, que l'on pourra réduire de 75 % le nombre d'individus vivant sans eau courante ni équipements sanitaires suffisants, pour atteindre un total avoisinant les 330 millions.
"Pour fournir une eau saine à la population, le secteur privé doit prendre la direction des opérations d'approvisionnement car celles-ci nécessitent des sommes d'argent considérables" affirme Ismail Serageldin. "Le rôle des gouvernements sera d'habiliter et de réguler, tout en protégeant l'environnement et en garantissant l'accès de l'eau aux plus pauvres grâce à des programmes de subventions précis et à l'encouragement d'actions communautaires."
Des mécanismes de participation institutionnelle
Le modèle ancien de "c'est l'affaire du gouvernement" doit être remplacé par un modèle où les individus concernés – c'est-à-dire les usagers – participent à tous les niveaux, affirme le rapport. Au niveau local, les groupes locaux et les associations d'usagers ont un rôle majeur à jouer – soit dans l'auto-approvisionnement et la gestion des systèmes locaux d'assainissement ou d'irrigation, soit en établissant un suivi des performances des fournisseurs de service publics et privés, soit en gérant l'utilisation des terres au sein de la localité.
L'expérience montre que cette participation doit être effective et non seulement symbolique : ces associations d'usagers et assemblées doivent jouer un rôle décisif dans les prises de décision concernant actions, moyens, et coûts, affirme monsieur Serageldin. "L'expérience montre également que ce qui fonctionne, c'est le partenariat entre gouvernements et usagers, dans lequel les gouvernements jouent un rôle vital dans la création d'un environnement favorable, et offrent une aide à la fois technique et exécutive. Une des bases de cette approche est de donner pouvoir de décision à diverses associations locales, dont des associations de soutien aux femmes, aux pauvres ou aux jeunes, afin que les voix adéquates se fassent entendre au sein d'une prise de décision de type participatif."
Prix et subventions
Pour encourager la préservation de l'eau, stopper le gaspillage, et favoriser l'adoption de technologies appropriées, y compris le recyclage, une facturation réaliste de l'eau est nécessaire estime la Commission. Il sera, selon elle, vital de mettre en place le principe : "le pollueur paie, l'usager paie". De fait, selon l'analyse de la Commision, seule une facturation réaliste de l'eau sera susceptible d'attirer les investissements privés nécessaires (et qui sont massifs). Parallèlement à cette politique, devront être mis en place des programmes de subventions adéquats afin de garantir l'accès des plus pauvres à l'eau et de favoriser l'action communautaire. Ces subventions devront aussi, précise la Commission, être versées directement aux populations et non aux fournisseurs de services. "Les subventions doivent être accordées dans la transparence et de façon ciblée," affirme le rapport. Le principe contribuera à diminuer gaspillage et à réduire les possibilités de "détournements" de subventions par les plus riches. Les approches actuelles – où l'eau, fortement subventionnée, est distribuée à tous – débouchent sur un "rationnement" des plus démunis qui, en final, paient souvent leur eau courante 10 à 20 fois plus cher que les plus favorisés.
Le rôle régulateur des pouvoirs publics
La Commission souligne que la plupart des réformes entreront en conflit avec ceux qui tirent profit du statu quo actuel. C'est pourquoi, selon elle, une participation des pouvoirs politiques est nécessaire. "Les gouvernements restent les acteurs principaux dans la résolution de la crise, par ce qu'ils font ou ce qu'ils ne font pas, et comment" affirme le rapport. Ils auront, en autre, la responsabilité d' "habiliter" les différents acteurs (privés et communautaire) et de "réguler" le système. Ils auront aussi la responsabilité d'informer et d'éduquer les populations afin que la nouvelle politique puisse effectivement agir sur les comportements. "La prise de conscience du public, l'éducation, l'identification et la propagation des meilleures pratiques, et les incitations à l'action seront les éléments permettant de concrétiser cette "vision" d'un futur à la fois équitable et viable, où tous, partout dans le monde, auront accès à une eau saine et abondante, et à des équipements sanitaires, alimentaires et énergétiques adéquats."
La Commission Mondiale présentera son rapport prospectif de l'avenir des ressources globales en eau et leur gestion au Second Forum Mondial de l'Eau (la "Vision Mondiale de l'Eau"), qui se déroulera du 17 au 22 mars 2000 à La Haye, aux Pays-Bas. Le thème en sera "de la Vision à l'Action". Le but premier de la Conférence sera d'aboutir à un accord sur les stratégies et les actions nécessaires au rétablissement de la santé de l'eau dans le monde. .