Loïc Fauchon – président du Conseil Mondial de l'Eau
Istanbul, mars 2009 –
Bridging Divides for Water, établir
des passerelles entre nos divergences : le 5ème Forum Mondial de l'Eau
qui se tiendra à Istanbul du 16 au 22 mars prochains espère des
consensus. En avant-première, H2o vous propose l'interview de Loïc Fauchon, président du Conseil Mondial de l'Eau.
l'interview de Loïc FAUCHON
président du Conseil Mondial de l'Eau
H2o – mars 2009
"Bridging Divides for Water" : au-delà de l’image portée par Istanbul, qu’est-ce qui a motivé le choix de cette thématique ? Quelles étaient les thématiques précédentes (à Mexico et Kyoto) et comment ont-elles, selon vous, contribué à l’avancée de l’action dans le secteur ?
Loïc Fauchon : L’approche du Conseil Mondial de l’Eau et du Gouvernement turc, consiste à jeter des ponts, et pas seulement au-dessus du Bosphore. Il faut jeter des ponts entre toutes les approches de la gestion de l’eau et de l’assainissement :
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entre collectivités locales, parlementaires et gouvernements,
- entre décideurs politiques, professionnels de l’eau et opinion publique,
- entre populations des cinq continents,
- entre amont et aval du cycle de l’eau, afin d’arbitrer au mieux entre usages concurrents
- entre l’offre et la demande,
- entre notre génération et les suivantes, à travers l’éducation à l’eau,
- entre pays riverains se partageant l’eau d’un même fleuve.
La cause de l’eau exige le rassemblement. L’eau et l’assainissement méritent que nos mains se tendent et que nos cœurs se rapprochent. C’est la seule voix possible pour que l’eau soit un facteur de paix et pas de guerre. À Istanbul, le Conseil Mondial de l’Eau mettra en commun les expériences, les compétences, les analyses et les propositions.
Lors du précédent Forum, à Mexico en 2006, nous avions insisté sur une idée clé en matière d’eau : il faut penser globalement, mais agir localement. L’eau est avant tout un problème local, et la mise en œuvre de solutions concrètes doit respecter ces spécificités, ces particularismes locaux. Cela signifie que les responsabilités en matière d’eau et d’assainissement doivent être rapprochées de l’échelon local. Une responsabilité partagée au plus près du citoyen. Trois ans après, ce principe, communément reconnu, reste plus que jamais une priorité.
Quelles sont aussi les finalités premières du Forum Mondial de l’Eau ? Quel bilan peut-être dressé des précédentes éditions ?
Un Forum n’est pas une conférence internationale au sens classique du terme. Un Forum c’est d’abord une histoire. Trois ans de vie commune pendant lesquels un pays et une ville travaillent main dans la main avec la famille de l’eau. Le but des forums est de sensibiliser et de convaincre avant tout les décideurs qu’ils soient économiques ou politiques, que l’eau et l’assainissement doivent être des priorités absolues. Sans eau, pas de vie, pas de développement humain.
Cette priorité ne doit être ni un vœu pieux ni un lieu commun. Elle doit se décliner en actions concrètes permettant de mettre le génie de l’homme au service de la cause de l’eau, à travers le droit, l’argent, les institutions, la connaissance.
Les grandes conférences internationales sont souvent critiquées pour leurs promesses incantatoires. Le Forum Mondial de l’Eau a lui pour ambition d’établir des résultats concrets, des engagements durables.
Un bilan positif peut être dressé des deux précédentes éditions. À Kyoto nous avons émis des recommandations très concrètes concernant le financement de l’eau, incitant par exemple à dégager de nouveaux types de financements non souverains. Plus simplement cela veut dire que des municipalités, des provinces, des régions, peuvent maintenant recevoir directement des prêts, des aides internationales. La Banque mondiale la première a accepté cette idée. Assez récemment l’Agence française de développement a aussi accordé plusieurs prêts à des municipalités turques sans la garantie du gouvernement de ce pays. Elle peut également mettre à disposition des régies locales des prêts non souverains, comme elle l’a fait en 2006 pour la Régie des eaux de Phnom Penh.
À Mexico, c’est le droit à l’accès à l’eau qui a gagné ses titres de noblesses. Un rapport publié par le Conseil Mondial de l’Eau, auquel ont participé de nombreuses ONG a permis de clarifier comment ce droit pouvait s’appliquer et selon quelles valeurs concrètes il se déclinait : dans les constitutions des États, par des allocations minimales pour les familles pauvres, par la construction obligatoire de toilettes dans les écoles et de bien d’autres façons encore. Au-delà de cette question du droit à l’eau, ce sont plus de 300 sujets qui ont été traités, partagés, valorisés.
100 sessions de travail, 24 sujets et 6 grandes thématiques. Combien de contributions cela représente-t-il ? Combien d’organisations, de pays ? Comment est organisée la feuille de route ?
À Istanbul, certes il y aura 100 sessions officielles, 5 journées régionales, 5 grands panels, et plusieurs dizaines d’événements parallèles.
Nous attendons au moins 15 000 personnes, un millier de journalistes, quelques 120 à 150 délégations ministérielles, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement et plusieurs centaines de parlementaires et d’élus locaux. Et surtout des milliers de professionnels, de défenseurs de la cause de l’eau. La famille de l’eau, comme nous l’appelons. Autant d’échanges, de rencontres, de débats, que nous voulons à la fois conviviaux, harmonieux, respectueux. Le forum ne connaît qu’une seule règle : "Écoute l’autre autant que tu veux qu’il t’écoute".
Certains acteurs ou militants de la cause de l’eau estiment que la question de l’eau ne pourra être résolue que dans le cadre d’un accord international. Ils demandent en conséquence que la question soit intégrée dans la négociation sur le climat devant aboutir à Copenhague fin 2009. Que pensez-vous de cette revendication ? Selon vous, la problématique de l’eau est-elle aujourd’hui bien appréhendée ?
C’est sans doute de plusieurs centaines d’accords dont l’eau a besoin. L’eau est une ressource qui doit être partagée et elle l’est de facto car une grande partie des ressources en eau dans le monde sont "transfrontalières".
Ce sujet à lui seul nécessite d’intenses activités diplomatiques qui ne concernent pas que les gouvernements puisqu’on voit fleurir ici et là des coopérations entre provinces et régions frontalières plus dynamiques parce que débarrassées du carcan des rigidités inter-étatiques.
Les progrès sur ce point sont immenses. Des sujets de tension sur le Tigre et l’Euphrate, sur le Río Panama, sur le Mékong disparaissent progressivement grâce au dialogue. Nous sommes heureux que le Forum de Mexico ait contribué à établir des discussions entre la Turquie, la Syrie, et l’Irak. Trois ans plus tard à Istanbul, ces trois pays ont créé une organisation commune qui les conduit, nous l’espérons vers des accords de répartition des masses d’eau, génératrices de développement et donc de paix.
Toutefois, les accords internationaux ne suffisent pas. Ils doivent encore être ratifiés par les États. Par exemple, la Convention des Nations unies de 1997 sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, n’est pas entrée en vigueur faute d’avoir atteint les 35 ratifications requises. Il est essentiel que les États ratifient cette convention afin de garantir une répartition équitable et durable des ressources en eau entre usages concurrents.
Le climat et son rapport à l’eau est un tout autre sujet. Très médiatique, sans doute trop car le grand public est le spectateur de débats souvent confus, d’affirmations parfois péremptoires. Nous savons mal aujourd’hui quelles pourraient être les conséquences d’éventuelles évolutions durables sur la disponibilité des ressources en eau. En plus clair encore, s’il y a réchauffement, aurons-nous plus ou moins d’eau ?
Le GIEC, malgré un travail scientifique d’une exceptionnelle qualité est particulièrement prudent sur ce point. D’abord parce que cela ne fait pas partie de sa mission. Ensuite parce que les réponses sont régionales et variables dans le temps. Il est assez facile de dire qu’il y aura moins d’eau sur le Maghreb et beaucoup plus en Europe du Nord. L’embêtant c’est que cette année par exemple, c’est l’inverse.
C’est pourquoi le Conseil Mondial de l’Eau a lancé son propre programme, avec l’aide du gouvernement hollandais, pour tenter de répondre à ces questions sans verser dans la dramaturgie climatique dont certains médias se font inutilement les propagateurs.
Nos travaux seront évidemment transmis à la Conférence sur le climat à Copenhague fin 2009 pour permettre un dialogue plus constructif menant à des décisions que les États, les autorités locales auront en dernier lieu la responsabilité d’assumer. .
- ResSources
World Water Forum 5
Six grandes thématiques seront au cœur des ateliers et débats :
- Changements mondiaux et gestion des risques
- Faire avancer le développement humain et les OMD
- Gestion
et protection des ressources en eau et de leur systèmes
d'approvisionnement afin de satisfaire aux besoins humains et
environnementaux
- Gouvernance et gestion
- Finances
- Éducation, connaissances et renforcement des capacités
Plus de 100 sessions thématiques se dérouleront au long de la semaine,
doublées de présentations régionales. Plusieurs assemblées plénières
réunissant des chefs d’états, des ministres, des parlementaires et des
autorités
locales devraient faire progresser la discussion et encourager de
nouveaux consensus sur les questions prioritaires liées à l’eau.
Organisateurs
Conseil Mondial de l'Eau
Municipality of Istanbul
General Directorate of State Hydraulic Works – DSI
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