La Directive Cadre sur l’Eau
au service de stratégies d’adaptation
de la gestion de la ressource en eau
au changement climatique
Les États Généraux de l’Eau en Montagne, qui se sont tenus les 22, 23 et
24 septembre 2010, à Megève (Haute-Savoie), simultanément avec la 8ème
conférence du groupe EURO-RIOB des organismes de bassin européens pour
l’application de la Directive Cadre sur l’Eau, appellent l’attention sur
la nécessité d’anticiper les conséquences sur les cycles hydrologiques
du changement climatique dans les montagnes européennes et de proposer
d’urgence des mesures d’adaptation indispensables.
communiqué final
Réseau international des organismes de bassin / Office international de l’eau
Agence de l’eau Rhône-Méditerranée & Corse
Société d’économie alpestre de la Haute-Savoie
Megève Tourisme
H2o – septembre 2010
La conférence a rassemblé 600 participants représentants des administrations nationales, des organismes de bassins, des municipalités, des chercheurs, ainsi que d’ONG et entreprises, venus de 41 pays de l’Union Européenne, des Balkans, de la Méditerranée et d’Europe orientale, du Caucase et de l’Asie centrale, ainsi que d’Australie et de Chine.
Les participants ont constaté que les montagnes européennes sont d’ores et déjà parmi les premières victimes du changement climatique – La température moyenne des Alpes par exemple a augmenté en un siècle de plus du double du réchauffement terrestre global. Les modèles projettent une augmentation de température dans les Alpes d’ici à 2100 comprise entre + 2,6 et + 3,9 °C. Le réchauffement pourrait être significativement plus élevé en haute montagne pour atteindre + 4,2 °C au-dessus de 1 500 mètres. Les glaciers alpins, qui ont déjà perdu entre 20 et 30 % de leur volume depuis 1980, pourraient encore régresser de 30 à 70 % de leur volume d’ici à 2050 ; quasiment tous les plus petits d’entre eux auraient alors disparus ! L’enneigement va se réduire, notamment en base et moyenne altitude…
Avec la diminution de l’enneigement et la fonte des glaciers, les régimes hydrauliques de tous les grands fleuves européens, venant des montagnes, sont en train de se modifier et ce phénomène ne touche pas que l’Europe : tous les grands fleuves du monde et leurs principaux affluents prennent leur source en montagne.
Les débits des grands fleuves européens de régime nivo-glaciaire seront sensiblement modifiés dans les prochaines décennies : en moyenne on observerait d’ici 2100 une augmentation de + 20 % des débits en hiver, mais une réduction de - 17 % au printemps et jusqu’à - 55 % des débits en été, surtout au centre et au sud des Alpes. Le niveau des aquifères pourrait aussi baisser de - 25 % dans les Alpes du Sud.
La fréquence et l’intensité des inondations en automne, hiver et printemps, ainsi que des sécheresses estivales, vont singulièrement augmenter dans les bassins de tous les grands fleuves européens prenant leur source en montagne.
Les autres conséquences du changement climatique en montagne seront une forte érosion, des glissements de terrains, une dégradation de la qualité des rivières et une augmentation de la température de l’eau. Le changement climatique aura aussi une incidence significative sur la production hydroélectrique, le refroidissement des centrales thermiques et nucléaires, la navigation fluviale… La compétition entre les usages de l’eau se fera plus vive, notamment pour l’irrigation dans le sud et avec la généralisation de la production de neige de culture, qui deviendra indispensable aux 666 stations de ski alpines actuelles pour assurer une saison d’hiver complète.
L’aménagement, le développement et la protection des montagnes sont donc des enjeux considérables à l’échelle européenne et mondiale, notamment pour la régulation des ressources en eau douce utilisées souvent à plusieurs centaines de kilomètres en plaine à l’aval.
Pour tous les participants à la conférence, la question n’est plus de discuter de la réalité du changement climatique, en particulier en montagne, mais bien de lancer au plus vite les programmes différenciés permettant de s’y adapter, principalement en ce qui concerne la gestion des ressources en eau douce, avant qu’il ne soit trop tard !
Compte tenu de la grande diversité des situations locales, il est d’abord indispensable d’identifier très rapidement ces changements et leurs conséquences, bassin par bassin, et dans chaque sous-bassin, et de mieux analyser les conséquences écologiques et socio-économiques sur les différentes activités. Les États Généraux de l’Eau en Montagne ont présenté des expériences de terrain, qui fonctionnent et donnent des résultats, qui peuvent être généralisés ou dont on peut s’inspirer pour progresser. Beaucoup de solutions existent déjà : il faut les diffuser et en développer la mise en œuvre.
Trois grandes catégories d’actions peuvent être envisagées :
- D’abord, économiser l’eau et faciliter les recyclages. La recherche des fuites, la réutilisation des eaux usées épurées, la recharge des nappes, le dessalement d’eau de mer, la recherche sur des usages économes doivent devenir des priorités. De nouvelles techniques économes en eau pour la gestion de l’enneigement des domaines skiables sont, par exemple, déjà utilisées à Megève, en particulier…
- Ensuite, repenser la gestion des eaux, des lacs et zones humides et des sols de montagne, en tenant compte, bien plus qu’aujourd’hui, des contraintes stratégiques de l’approvisionnement en eau des populations et des économies agricoles, industrielles et touristiques des piémonts et des plaines en aval et en développant "une nouvelle culture du risque".
Conservation et stockage des ressources en eau, aménagement des versants et des sols pour retenir l’eau durant les précipitations, gestion du couvert végétal et forestier, protection des zones humides, zonages de protection, zones d’expansion naturelle des crues, reconstitution des cours de rivières dégradées, etc., les nouvelles politiques d’aménagement du territoire devront concourir à optimiser les réserves d’eau disponibles et leur répartition saisonnière pour la communauté et prévenir les risques naturels.
- Enfin, mieux reconnaître le rôle des montagnes pour la collectivité dans son ensemble et mieux aider les montagnards, dans le cadre de politiques intégrées des bassins, pour qu’ils puissent assurer la gestion des territoires, des écosystèmes aquatiques et des ressources en eau des massifs, et réaliser les aménagements et les équipements intégrés nécessaires en amont, pour continuer à protéger l’aval contre les risques et à fournir aux plaines de l’eau abondante et de qualité, dont elles auront de plus en plus absolument besoin... Il faudra pour cela mettre en place des mécanismes institutionnels et financiers permettant la rétribution, par leurs principaux bénéficiaires habitant en aval, des services rendus par gestionnaires des écosystèmes montagnards dans les hauts bassins versants.
Il faut développer des stratégies gagnant/gagnant et lancer au plus vite des programmes de mesures "sans regret", dont la mise en œuvre sera de toute façon indispensable dans tous les scénarios envisageables, dès lors que l’eau est indispensable à quasiment tous les secteurs dont le développement dépend de sa disponibilité et de sa qualité.
La planification doit se faire au niveau des bassins des grands fleuves et reposer sur une forte coopération intersectorielle et aussi internationale quand les bassins sont transfrontaliers.
Avec la Directive Cadre sur l’Eau, l’Union Européenne, dispose de l’outil efficace qui doit aussi servir à développer ces stratégies d’adaptation de la gestion de la ressource en eau au changement climatique – Plusieurs États de l’Union Européenne élaborent d’ores et déjà de telles stratégies ; la France par exemple vient de lancer une consultation publique pour son Plan national d’adaptation.
En 2011, un Centre européen d’information sur les effets du changement climatique devrait voir le jour tandis que la Commission européenne proposera en 2013 une Stratégie commune aux États-membres…
Les mesures indispensables pour l’adaptation de la gestion de l’eau seront à intégrer dans les prochains plans de gestion et programmes de mesures 2015-2021, puis 2021-2027 de la Directive Cadre européenne sur l’Eau. .