Dossier de Martine LE BEC et Nicole MARI   |
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August 2002 | ||
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Les transferts d'eau seront source de conflits
L'interview de Matoug Mohamed MATOUG
Ancien ministre libyen de l'éducation et des sciences, président du National Research Board, Matoug Mohamed Matoug décrit la situation de l'eau en Libye et les solutions adoptées pour assurer les besoins. Il dénonce les transferts d'eau et prône la coopération régionale.
Quelle est la situation de l'eau en Libye ?
Celle d'un pays pauvre en eau. Reconnaissant ce fait, Mouammar al-Kadhafi, notre Guide, a dans les années 1970, non seulement pour la Libye mais pour tous les pays arabes, organisé des réunions avec des experts agricoles et hydrauliques. Nous avons fait des études et établi une stratégie en trois points sur le long terme : la production d'eau avec le dessalement de l'eau de mer, le traitement des eaux usées et la gestion des ressources par la création d'un corps de gestion efficace de l'eau. Le Guide a également décidé de transporter l'eau du sud vers les villes côtières du nord, qui utilisent 70 % de l'eau pour les besoins de l'agriculture et 30 % pour des besoins industriels et domestiques. Ainsi est né le projet de la grande rivière artificielle, qui permet de puiser dans les nappes aquifères pour plus de 50 ans. La production est assurée par les autorités nationales et la gestion par les autorités locales. Aujourd'hui, nous effectuons des recherches pour augmenter notre savoir, nous étudions les nouvelles technologies et la possibilité d'utiliser l'énergie solaire pour le dessalement. Notre objectif est de sécuriser l'avenir sur l'eau. Quels sont les besoins de la population ?
La Libye consomme 2 millions de m3 par jour pour ses besoins domestiques et industriels et 3,4 millions pour l'agriculture et l'irrigation. Pour ces besoins, nous allons consommer en 20 ans les volumes de la Grande rivière. Nous utilisons déjà cette eau en agriculture pour lutter contre l'intrusion des sels marins dans les sols agricoles. Globalement 90 % des besoins du pays sont satisfaits. Nous avons d'autres projets de barrages, notamment ceux de Tobrouk et de Tcherbou. Quel est le coût global du projet pharaonique de la Grande rivière ?
Environ 16 milliards de dollars, qui ont été notamment financés par les taxes sur les produits importés, à l'exception des produits alimentaires. De plus, 25 à 30 % du budget de recherche du gouvernement est alloué pour développer de nouvelles techniques de désalinisation et de traitement de l'eau. Globalement, le gouvernement consacre 20 % de ses ressources au secteur énergétique. Que pensez-vous de la politique de transfert d'eau défendue par la Banque mondiale ?
L'eau est un bien dont tout le monde a besoin. C'est une erreur de l'évaluer comme un bien commercial et d'en faire un enjeu de transfert. Nous devons établir une loi qui dit que tout le monde a droit à l'eau. L'eau est essentielle à la vie. Si vous n'avez pas de pétrole, vous pouvez avoir du bois pour vous chauffer ou vous éclairer. Vous pouvez vivre sans lumière, mais pas sans eau. La technologie de l'eau est un business, mais l'eau, en tant que bien, non. Les pays doivent utiliser leurs ressources naturelles et ensuite, se partager les ressources régionales. Les transferts d'eau doivent se faire dans le cadre d'une coopération économique et non dans une simple transaction financière. Vendre de l'eau va faire naître ou envenimer les désaccords entre pays et entre populations et sera source de conflits. Un pays peut fermer les vannes et tuer des milliers de gens. Regardez ce qui se passe entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. Songez-vous développer dans ce secteur la coopération régionale ?
Dans le milieu des années 1990, les pays arabes et d'autres pays du continent ont reconnu le problème de l'eau. Mais aucune stratégie arabe ou régionale n'a été mise en place. C'est encore juste un rêve, dont nous espérons la réalisation. Des projets existent néanmoins d'échanger de l'eau entre le Tchad, le Soudan, l'Égypte et la Libye, mais l'eau n'est pas propre. Avec la Tunisie, également, des projets sont à l'étude. Nous avons aussi entamé des négociations avec la Tunisie et l'Algérie pour pomper ensemble l'eau du bassin commun de Bagadès, au sud de l'Arabie. Depuis cinquante ans, ce bassin est utilisé par les Algériens et les Tunisiens pour irriguer les palmeraies de la région. Avez-vous initié des projets avec des États africains ?Oui, plusieurs projets initiés par la Libye sont à l'étude. Notamment de prendre de l'eau au Congo et de l'apporter dans d'autres pays africains. Il y a des projets pour relier l'eau des rivières et créer une sorte de pipeline, d'aqueduc des pays producteurs d'eau vers ceux qui en manquent. Nous pensons également pour résoudre les problèmes de sécheresse du Sahel, mettre en place, sur le pourtour méditerranéen, des grandes usines de dessalement de l'eau de mer et transporter l'eau vers de grandes unités dans les pays du Sahel. Ces idées sont à développer. .
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