Dossier de Martine LE BEC et Nicole MARI   |
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August 2002 | |
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Préserver l'eau d'ici pour éviter à l'humanité l'au-delà
Olivier JACOULET
Nouveau raout onusien à Johannesburg en Afrique du Sud : des dizaines de milliers de personnes, des chefs d'État et de gouvernement, des experts se sont une nouvelle fois mis au chevet de la planète pour tenter de laisser à nos descendants une terre à peu près dans l'état où nous l'avons trouvée en y apparaissant. Ont-ils eu le courage et le temps de se jeter à l'eau pour tenter d'élaborer une véritable stratégie de développement durable de l'eau ? Pas vraiment, le problème est difficile et les enjeux multiformes.
L'eau est en effet un milieu complexe et fragile. Elle est inégalement répartie sur terre. C'est le Brésil, pays organisateurs du sommet de la Terre de Rio en 1992, qui possède les plus importantes réserves d'eau naturelle avec quelques 5 670 km3. Qu'elle vienne à manquer ou en trop grande quantité, l'eau devient alors synonyme de mort. En proportion raisonnable, elle assure la survie de tous les êtres vivants. Mais aujourd'hui, plus d'un milliard d'êtres humains n'ont pas accès à l'eau potable. Toutefois et contrairement à ce que l'on croit généralement, l'eau à usage domestique ne mobilise qu'un faible pourcentage des réserves mondiales (8 %). C'est l'irrigation qui pompe le plus ces réserves (70 %). HydropolitiqueL'enjeu est de taille à tel point qu'on peut parler "d'hydropolitique". Déjà au 7ème siècle avant JC, des cités grecques s'étaient réunies en association et prêter serment de ne pas se priver d'eau mutuellement, même en cas de guerre. L'eau représente depuis toujours en effet un enjeu stratégique et une source de conflits dans le monde, malgré l'existence d'environ 300 traités internationaux beaucoup trop disparates. Comme le souligne Jacques Sironneau dans son ouvrage "L'eau, nouvel enjeu stratégique mondial" (Éditions Économica, 1996), "L'eau apparaît de plus en plus comme un enjeu stratégique générateur de situations conflictuelles entre États, qui demeurent largement dominées par les rapports de forces en l'absence d'une véritable législation internationale dans le domaine". Plus de 30 % des tracés frontaliers correspondent à des supports hydrographiques, comme par exemple le Rhin qui marque la frontière entre l'Allemagne et la France ou encore les étendues marécageuses du Chatt-El-Arab entre l'Iran et l'Irak. Il y a sur terre à peu près le même nombre de bassins fluviaux que d'États (200). Et, par conséquent, autant de risques de conflits. Les fleuves, les cours d'eau peuvent servir de barrières naturelles ou au contraire de moyens d'infiltrer un État. On peut aussi polluer, ou menacer de polluer, un cours d'eau en amont pour aller contaminer les populations en aval. En 1943, l'aviation britannique allaient bombarder les barrages allemands qui fournissaient de l'eau et de l'électricité à l'industrie de guerre nazie. Il existe de nombreux exemples de tensions, de litiges ou de conflits larvés entre États pour le contrôle de zones hydrographiques. Citons : les différents litiges entre la Turquie d'un côté et la Syrie et l'Irak de l'autre à propos de l'exploitation des eaux du Tigre et de l'Euphrate ; les tensions entre l'Égypte, le Soudan, l'Éthiopie et la Tanzanie pour le contrôle et l'exploitation des eaux du Nil ; le désastre écologique de la mer d'Aral et les tensions entre les républiques d'Asie centrale sur l'exploitation de l'Amou-Daria et du Syr-Daria ou encore le futur barrage des Trois-Gorges sur le Yangzi Jiang, en Chine, qui en fera le plus gros barrage du monde. Au Proche-Orient, c'est la question de l'eau qui domine et qui dominera pour longtemps encore les relations entre les pays arabes et Israël. Boutros-Boutros Ghali, alors ministre égyptien des Affaires étrangères déclarait en 1987 : "la prochaine guerre dans notre région concernera l'eau. Pas la politique". Ses propos faisaient échos à ceux d'Alexandre de Maranches, ancien chef des services secrets français, qui, il y a quelques années, confirmait que l'eau deviendrait une source majeure de conflit au 21ème siècle. Pour sa part, Golda Meir, premier ministre israélien déclarait en 1967, au lendemain de la destruction par Israël d'un barrage syrien du Golan : "Les pays qui tentent de détourner le Jourdain ne jouent pas seulement avec l'eau mais avec le feu". Toutes les relations entre Israël et ses voisins sont sous-tendues par cette question hydropolitique. En 1919, le président de l'organisation sioniste mondiale demandait au premier ministre britannique que les frontières de la Palestine soient déterminées en fonction de considérations hydrographiques. Plus de 75 ans plus tard, le compromis de Taba entre Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine, assura à Israël le contrôle temporaire en eau et en électricité de la Cisjordanie.
Aujourd'hui, les conflits sont de plus en plus urbains et frappent de plus en plus les civils. Les installations d'eau deviennent des cibles en violation souvent avec le Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, premier document moderne interdisant la destruction, entre autres, des réseaux d'eau potable.
Que faire face à ce constat humainement dramatique ? Bien sûr, en cas de crise, il faut gérer l'urgence : fournir et produire de l'eau propre à la consommation pour les populations sinistrées ; protéger les sources. Lorsqu'au Yémen en 1994, les belligérants voulaient détruire les installations qui alimentaient Aden, la capitale, en eau potable, il fallut négocier ferme pour convaincre les agresseurs de ne pas mettre leurs menaces à exécution. La médiation, la négociation demeurent des armes tout aussi efficace même en temps de guerre. Bien sûr, il faut renforcer les instruments internationaux existants. Il faut surtout préserver l'eau d'ici pour éviter à l'humanité l'au-delà. .
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