Dossier de Martine LE BEC et Nicole MARI   |
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August 2002 | ||
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1972-2002-2032 : l'état de la planète, passé, présent et à venir
synthèse par Martine LE BEC-CABON
A la veille du Sommet mondial pour le développement durable, qui se tiendra à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002, le PNUE, Programme des Nations unies pour l'environnement, a publié le 22 mai son troisième rapport sur l'avenir de l'environnement mondial : GEO-3. Établi par plus de 1 000 experts, le rapport passe au crible les politiques suivies au cours des 30 dernières années, depuis la Conférence de Stockholm de 1972 ayant abouti à la création du PNUE, et dégage 4 scénarios à l'horizon 2032. La dégradation progressive de l'environnement
En dépit des améliorations qui ont été apportées dans des domaines tels que la qualité de l'eau des rivières et de l'air (surtout significatives en Amérique du Nord ou en Europe), voire même de l'action internationale de reconstitution de la couche d'ozone, l'environnement s'est progressivement dégradé en particulier dans de vastes parties du monde en développement. Cette dégradation de la qualité de l'environnement aggrave en premier lieu la vulnérabilité de la population aux risques naturels que sont les cyclones, les inondations et les sécheresses, mais aussi aux risques d'insécurité alimentaire, de maladies et de modes d'existence non viables à terme. On estime que le nombre de personnes affectées par les catastrophes a augmenté, passant d'une moyenne de 147 millions par an durant les année 1980, à 211 millions par an durant les années 1990. Les pertes financières dans le monde, résultant des catastrophes naturelles, ont été estimées en 1999 à plus de 100 milliards de dollars. La gravité des catastrophes causées par le climat augmente, et certains experts relient cette évolution au changement climatique aux émissions anthropiques. Durant les années 1990, 90 % des victimes de ces catastrophes ont péri par suite des inondations, des tempêtes et des sécheresses. Il ressort que presque toutes les évaluations et projections consignées dans le rapport trouvent leur origine dans le phénomène du réchauffement mondial, dont les effets pourraient perturber gravement les conditions météorologiques au cours des prochaines décennies. 1972-2002 : le passé et le présentLes terres – En l'espace de 30 ans, l'augmentation de la population mondiale (plus 2,2 milliards d'humains) a exercé une très forte pression sur les sols au point qu'on estime aujourd'hui que 2 000 millions d'hectares de terres, soit 15 % de la surface émergée de la terre (une superficie plus grande que les États-Unis et le Mexique réunis) sont dégradés ; dont 305 millions à tel point qu'aucune remise en état n'est possible. Une irrigation excessive, mal conçue, a aussi contribué à ce que de 10 % des terres irriguées dans le monde (soit entre 25 et 30 millions d'hectares) sont classés comme gravement dégradés par le sel. L'eau – La moitié environ des fleuves mondiaux sont gravement atteints ou pollués. Environ 60 % des 227 fleuves les plus importants de la planète sont fortement ou modérément fragmentés par des retenues et autres grands ouvrages ayant aussi causé depuis les années 1950, le déplacement de 40 à 80 millions d'hommes. Alors aussi que deux milliards d'hommes, soit un tiers de la population mondiale, sont dépendants des eaux souterraines, le niveau des nappes phréatiques sont dans certaines parties du monde (en Inde, en Chine, dans la péninsule Arabique, mais aussi dans certaines régions de Russie ou dans l'Ouest des États-Unis) devenus extrêment préoccupants ; les prélèvements excessifs ayant parfois entraîner la contamination des zones côtières par l'eau de mer. Alors que 80 pays, représentant 40 % de la population mondiale, souffrent d'un grave manque d'eau, 1,1 milliard de personnes n'ont pas l'eau potable et 2,4 milliards n'ont pas de moyens d'assainissement. Les maladies d'origine hydrique prélèvent un lourd tribut en vies humaines :
En 1994, on estimait à 37 % la proportion de la population mondiale qui vivait à moins de 60 kilomètres d'une côte, ce qui est plus que l'ensemble de la population mondiale en 1950. De fait, les eaux usées sont devenues la principale source de contamination, en volume, des mers et océans, mais à laquelle il convient d'ajouter les déversements d'hydrocarbures, les rejets de métaux lourds, de polluants organiques persistants (POP) et de détritus divers. L'impact économique de la contamination des mers, mesuré par le coût entraîné par les maladies et par la mauvaise santé, serait de l'ordre de près de 13 milliards de dollars. Les forêts et la diversité biologique – L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que les forêts, qui couvrent 3 866 millions d'hectares, soit un tiers des surfaces émergées, ont diminué de 2,4 % depuis 1990. C'est surtout l'Afrique qui est touchée où 52,6 millions d'hectares (soit 0,7 % du couvert forestier) ont disparu au cours des 10 dernières années.Si à la fin de 2000, des dispositifs de vérification de la bonne gestion des forêts tels que ceux animés par le Conseil de bonne gestion des forêts, ont certifié comme conforme aux normes de durabilité, l'exploitation de 2 % environ des forêts mondiales ; il s'agit surtout de forêts situées en Amérique du Nord ou en Europe. La détérioration des écosystèmes fait aussi que près d'un quart des espèces de mammifères, soit 1 130, et 12 % des espèces d'oiseaux, soit 1 183, sont actuellement considérées comme menacées d'extinction dans le monde. Dans le milieu, près d'un tiers des stocks de poissons sont en voie d'épuisement, surexploitéspar l'industrie de la pêche dont les subventions atteindraient néanmoins 20 milliards de dollars par an.
L'atmosphère – L'épuisement de la couche d'ozone a atteint des niveaux exceptionnels. En septembre 2000, le trou de l'ozone au-dessus de l'Antarctique couvrait plus de 28 millions de km2. Si à l'issue du Protocole de Montréal (adopté en 1987) la production des principaux chlorofluocarbures (CFC) a désormais été ramenée à des niveaux très bas, dans le même temps, les concentrations de dioxyde de carbone ou de d'autres gaz à effet de serre comme le méthane et les halocarbures augmentent de manière importante. 2032 : des choix pour l'avenirParmi les 4 scénarios de prospective, présenté par le rapport, les experts ont défini deux scénarios extrêmes : le scénario Marchés d'abord et le scénario Durabilité d'abord. Le premier prend pour hypothèse le triomphe des forces du marché ; le second met au contraire l'accent sur des changements profonds dans les valeurs et les modes de vie, l'adoption de politiques vigoureuses et la coopération entre tous les secteurs de la société. Les terres – En 2032, près de 3 % de la superficie émergée seraient construits, dans le scénario Marchés d'abord, dont plus de 5 % de l'Asie et du Pacifique. Le pourcentage peut paraître faible, mais l'impact de l'augmentation de la superficie couverte par les routes, les lignes électriques, les aéroports et autres grandes infrastructures aura un impact beaucoup plus que proportionnel sur la faune et la flore sauvages. Dans le scénario Durabilité d'abord, la superficie construite continue à augmenter, mais diminue légèrement en Amérique du Nord et en Europe, en dessous de 2 %, à mesure que des politiques d'urbanisme mieux conçues, comportant la construction de villes plus ramassées, de superficie plus réduite, sont adoptées. L'eau – Le nombre de personnes vivant dans des zones souffrant d'un stress hydrique grave, en chiffres absolus et relatifs, augmente dans presque toutes les régions du monde dans le scénario Marchés d'abord. On estime que 55 % de la population mondiale est touchée par le phénomène, contre 40 % en 2002. Les proportions les plus élevées sont observées en Asie occidentale avec plus de 95 %, et dans la région Asie et Pacifique avec plus de 65 %. Dans le scénario Durabilité d'abord, la proportion de personnes vivant dans des régions frappées par un stress hydrique grave reste à peu près constante ou même diminue à la faveur de méthodes de gestion plus efficaces permettant de réduire les prélèvements d'eau, en particulier pour l'irrigation. En Asie occidentale, la proportion reste de l'ordre de 90 %, mais elle diminue de moitié environ aux États-Unis pour ne pas dépasser un cinquième, tandis qu'en Europe elle diminue d'un tiers actuellement à un peu plus de 10 % en 2032. Les forêts et la diversité biologique – L'expansion rapide des infrastructures, prévue dans le scénario Marchés d'abord, devrait entraîner la poursuite et la destruction, la fragmentation et la perturbation des habitats et de la faune et de la flore sauvages. Plus de 70 % des superficies émergées pourraient être affectées dans le monde, les impacts les plus graves s'exerçant en Amérique latine et dans les Caraïbes (près de 85 %) et les plus faibles en Asie occidentale (un peu plus de 50 %). Dans le scénario Durabilité d'abord, les impacts de la construction d'infrastructures continuent à s'alourdir, puisqu'ils touchent 55 % des zones touchées, bien que la situation se stabilise en 2032. Un peu moins de 60 % des terres en Amérique latine et dans les Caraïbes subissent les effets de ces constructions d'infrastructures en 2032, et un peu plus de 40 % en Asie occidentale. Les zones côtières et marines – Dans le scénario Marchés d'abord, la charge d'azote – indicateur d'un large éventail de polluants d'origine terrestre – augmente fortement en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et dans le Pacifique, et en Asie occidentale. Alors que l'augmentation de la charge d'azote dans les eaux côtières européennes est généralement moins grave, la côte méditerranéenne subit une pression particulière en raison de plusieurs facteurs : la croissance urbaine, un mauvais traitement des eaux usées, l'essor du tourisme et l'intensification des cultures. La situation est préoccupante dans les estuaires de plusieurs grands fleuves comme le Nil ou le Mississipi. Dans le scénario Durabilité d'abord, une meilleure gestion des eaux usées et des eaux de ruissellement se traduit par une augmentation moins importante de la pollution côtière, sauf en Asie occidentale.
L'atmosphère – Les émissions de dioxyde de carbone résultant de la combustion des combustibles fossiles continuent à augmenter, pour atteindre environ 16 milliards de tonnes par an en 2032 dans le scénario Marchés d'abord (contre 6,2 milliards en 1998). A la même date, les concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère dépassent 450 ppm (contre 370 ppm actuellement) et progressent pour atteindre probablement 550 ppm en 2050, soit le double des concentrations avant l'ère industrielle. Dans le scénario Durabilité d'abord, les émissions de dioxyde de carbone augmentent également, mais une modification radicale des comportements, alliée à l'introduction vigoureuse de mesures d'amélioration des rendements énergétiques, laissent présager une baisse de ces émissions. En 2032, les émissions mondiales de dioxyde de carbone sont inférieures à 8 milliards de tonnes par an. Cependant, en raison du temps que mettent les phénomènes à se propager dans les systèmes climatiques, les concentrations dans l'atmosphère commencent à se stabiliser vers 2050 seulement. L'Afrique menacée par un scénario catastropheÀ défaut de mesures rapides et drastiques, l'Afrique est particulièrement menacée. Augmentation rapide de la pollution atmosphérique et aquatique, dégradation des sols, augmentation des sécheresses, pertes de nombreuses espèces sauvages animales et végétales : tel est le scénario dépeint par un second rapport, "l’Avenir de l'environnement en Afrique" (AEA) que le PNUE vient de faire paraître, début juillet, pour le compte de la Conférence ministérielle africaine sur l'environnement (CMAE). Les pays d'Afrique ont, au cours des trois dernières décennies, souffert de divers problèmes – croissance démographique, guerres, haut niveau d’endettement national, catastrophes naturelles et maladies – qui, tous, ont laissé leur trace sur les habitants et le riche environnement naturel du continent. Par ailleurs, de nouvelles menaces, dont certaines commencent juste à se manifester, à l'exemple du changement climatique, de la propagation incontrôlée d’espèces exotiques, de l'expansion anarchique des villes ou de la pollution occasionnée par les voitures et l’industrie, risquent, dans les trente années qui viennent, d'aggraver la pauvreté, la détérioration de l’environnement et l’état de santé de la population. Face à cette situation, de nombreux pays d'Afrique s’efforcent actuellement, au moyen d’initiatives telles que le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development – Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), d’éliminer certaines des causes profondes de ce déclin écologique. Ces actions sont cependant loin d'être suffisantes. Un effort beaucoup plus important de la part de tous les pays concernés, qu'ils fassent ou non partie de la région, est nécessaire pour mettre le continent sur une trajectoire économiquement favorable et écologiquement viable. Il faudrait par exemple, pour ne citer que quelques-unes des interventions requises, réduire encore plus le fardeau de la dette, renforcer l’aide financière, responsabiliser les communautés locales, faire appliquer les accords sur l'environnement, introduire des technologies vertes non polluantes, et accorder aux produits africains un accès équitable aux marchés internationaux. Climat – Alors que la population et l'économie de la plupart des pays d'Afrique dépendent fortement de l'agriculture pluviale, les données météorologiques rassemblées depuis 1900 montrent, à partir de 1968, une baisse constante de la pluviosité annuelle sur l'ensemble du continent. Il est possible que cette évolution soit due à la pollution atmosphérique causée par les activités humaines.Bien que ne paricipant que très peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (223 millions de tonnes par an s'agissant des émissions de dioxyde de carbone), l'Afrique se révèle extrêmement vulnérable aux effets du réchauffement de la planète en raison de sa dépendance envers l'agriculture et de l'absence de ressources financières permettant de compenser les pertes ainsi occasionnées. Le golfe de Guinée, le Sénégal, l'Égypte, la Gambie, la façade orientale de l'Afrique et les îles de la partie occidentale de l'Océan Indien sont particulièrement exposés aux élévations du niveau de la mer. Une hausse de 1 mètre suffirait pour inonder des parties étendues du delta du Nil, causer d'importants dégâts à la ville d'Alexandrie, et submerger 70 % des Seychelles. Pollution atmosphérique – L'Afrique possède le taux d'urbanisation le plus élevé du monde. C'est l'une des principales causes de l'accroissement de la pollution, les autres étant les politiques fiscales qui encouragent l'utilisation de carburants "sales", le brusque accroissement des importations de voitures d'occasion souvent vétustes, et le manque d'efficacité des processus de fabrication industrielle. D'après une étude effectuée au Sénégal, le traitement des affections liées à la pollution causée par les véhicules de transport coûte au pays l'équivalent de 5 % de son PIB. En Afrique du Nord, en particulier dans les villes dotées de raffineries ou de centrales électriques fonctionnant au charbon, la concentration de dioxyde de soufre contenue dans l'air atteint dans bien des cas le double de la norme fixée par l'OMS. Si de nombreux pays se sont dotés de normes et règlements relatifs à la qualité de l'air et à la pollution, le manque de ressources ne leur permet pas de les appliquer effectivement. Diversité biologique – Alors que le continent possède quelques-unes des régions les plus riches de la planète, l'augmentation de la production forestière, agricole et minière, ainsi que d'autres facteurs comme, la pratique de la culture sur brûlis, le braconnage, l'invasion d'espèces exotiques, la méconnaissance de la valeur des ressources biologiques ou simplement l'inadéquation des mesures d'application des législations relatives à la conservation, sont en train d'accroître la pression sur le milieu naturel. Au total, 126 espèces animales et 120 espèces végétales sont portées disparues. 2 018 autres espèces animales ainsi que 1 771 espèces végétales sont menacées d'extinction. Des initiatives de protection, de conservation et de promotion de l'utilisation durable des ressources biologiques et connaissances traditionnelles africaines sont en cours dans plusieurs pays. Dans de nombreux cas, elles se font en partenariat avec des communautés locales, des tribus ou des opérateurs du secteur de l'écotourisme. Nombreux sont également les pays qui ont ratifié les principales conventions telles que la Convention sur la diversité biologique et la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées d'extinction. Ainsi, l'Afrique du Nord possède maintenant 102 zones protégées. De 260 en 1989, le nombre des zones protégées d'Afrique australe est maintenant passé à 578. Milieu marin et zones côtières – D'après le rapport, les riches régions côtières et marines du continent sont en danger, du fait de la pollution, de la surexploitation des ressources, de l'érosion et des impacts potentiels des changements climatiques. Environ 38 % des écosystèmes côtiers tels que les mangroves et les récifs de corail se trouvent sous la menace des aménagements comme, par exemple, les ports, et du développement des établissements humains, qui s'accompagne d'une augmentation des rejets de déchets. Par ailleurs la surexploitation des ressources halieutiques par les flottes de pêche locales et étrangères a provoqué une réduction des stocks au point les dix prochaines années verront un important déclin de l'offre dans toute l'Afrique. En dépit de divers programmes, plans d'action et conventions, le continent manque cruellement de moyens, humains et financiers, mais aussi sans doute d'une véritable volonté d'application effective des règlements. .
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