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De Johannesburg à Kyoto : les enjeux
par Martine LE BEC-CABON
C'est à l'arraché et finalement contre d'importantes concessions sur le dossier de l'énergie que l'objectif Eau – initié par la Déclaration du Millénaire des Nations Unies – aura été confirmé à Johannesburg, à savoir réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de personnes qui n'ont pas accès à l'eau. Dixit l'objectif Assainissement – initié par la Conférence ministérielle de Bonn, et qui visait à réduire pareillement de moitié le nombre de gens ne disposant pas d'installation d'assainissement ; l'assainissement redevient un "besoin fondamental", au même titre que l'eau, l'énergie, la santé, la sécurité alimentaire ou la protection de la biodiversité, mais sans objectif chiffré. Dixit aussi – comme on s'y attendait – du concept du droit à l'eau.
Nombreux sont ceux qui avaient sincèrement imaginé que Johannesburg allait plancher sur les actions à mettre en oeuvre pour réaliser les deux objectifs de la Déclaration du Millénaire et de la Conférence de Bonn. Le Plan se contentera d'encourager "des partenariats entre les secteurs public et privé fondés sur des cadres réglementaires établis par les gouvernements". C'est le fameux PPP – partenariat public privé – par ailleurs si décrié par certains et – qui plus est – ici défini dans des termes on ne peut plus "accomodants" pour tous, responsables publics, financiers et industriels.
PPP : partenariat public-privé
une solution qui laissera "en carafe" plusieurs milliards d'êtres humains
Le calcul est simple :
- actuellement 1,1 milliard (voire 1,3 milliard) de gens n'ont pas d'accès à l'eau potable ; "si rien n'est fait", ils seront 2 ou 3 milliards d'ici 25 ans", déclarait en substance Gérard Mestrallet, P-Dg de Suez, interviewé par Richard Arzt, journaliste à RTL, le 23 août 2002 (texte de l'interview). Il s'agit même d'une hyptothèse basse, alors que les experts estiment aujourd'hui que 55 % de la population mondiale souffrira d'un stress hydrique grave d'ici 2032, date anniversaire du Sommet de Rio, soit 4,5 et quelques milliards de personnes sur une population mondiale qui s'élèvera alors entre 8,2 et 9,5 milliards d'habitants (sources : rapport GEO-3 du Programme des Nations Unies et statistiques du US Census Bureau) ;
- actuellement aussi, si le secteur privé – si soupçonné d'ambitions démesurées – ne dessert en eau potable que 5 % de la population mondiale, son ambition réelle ne s'étire guère au-delà des 15 ou 20 % (estimations avancées par Daniel Marcovitch, parlementaire français, rapporteur de la loi sur l'eau, à l'occasion de l'Université de l'Eau de Créteil, et confirmées par Gérard Payen, Dg de Suez, invité au débat – voir le compte rendu de H2O : Université de l'eau – débat La bataille de l'eau, en ligne depuis mais 2002) ;
- à supposer que le PPP puisse s'appliquer à l'ensemble de la population mondiale, indépendamment d'une quelconque situation "privilégiée" – hypothèse fort improbable – ; à supposer aussi que le PPP puisse s'étendre à des micro-entreprises locales... Dans tous les cas, on peut objectivement estimer que ce sont entre 2,5 et 3,5 milliards de personnes – soit la moitié de la population mondiale actuelle – qui souffriront d'ici 2032 d'un véritable "abandon".
Sans remettre en cause le bien-fondé ou non de ce fameux PPP, les décideurs internationaux peuvent-ils se limiter à l'ébauche d'une solution qui objectivement à toutes les chances de s'avèrer à moyen-terme très insuffisante ? Pierre Kohler, ministre de l'Environnement du canton du Jura suisse a fait part de son sentiment de honte. "Près de 200 conférences ont été consacrées à l'eau sans qu'il en sorte des plans d'actions concrets", a-t-il confié au quotidien Libération à l'issue de la sixième séance plénière du Sommet. "Il faut que le sujet fasse l'objet d'un vrai débat politique mondial, comme pour le climat ou la biodiversité. Or on reste incapable de confier la gestion de l'eau à une institution internationale. C'est toujours le même show, qui fait de nous les complices d'envolées lyriques. Peut-être que, finalement, les responsables politiques et économiques ne s'intéressent qu'à l'aspect financier de l'eau."
11 milliards de dollars d'investissements annuels contre 180 milliards qui seraient nécessaires – sur environ 10 ans
Comme l'a rappelé Gourisankar Gosh, du Conseil pour l'assainissement et l'approvisionnement en eau, les besoins de financement peuvent être estimés à 180 milliards de dollars par an, alors que seulement 11 milliards par an sont actuellement consacrés à l'eau et à l'assainissement (soit l'équivalent des dépenses chaque année consacrées en Europe à l'achat... de crèmes glacées). Rappelant que dans la plupart des pays, les riches ont accès le plus souvent à une eau subventionnée, il a évalué l'investissement moyen par habitant dans le monde en développement à une fourchette allant de 5 à 20 dollars en fonction de la particularité des pays (le nombre d'habitants et la facilité d'accès à l'eau).
Qui va alors payer pour les plus pauvres ?
Il ne reste qu'à espérer au moins un début de réponse au prochain Forum mondial de l'eau. Le Conseil mondial de l'eau et le Partenariat mondial (Global Water Partnership) ont en tout cas lancé une discussion sur le Virtual Water Forum (worldwaterforum.org / session "Financing water services for the poor" avec James Winpenny et Daniel Valensuela comme modérateurs). Toutes vos suggestions sont les bienvenues.
C'est aussi à chacun de faire en sorte – que face à l'évidente défaillance des gouvernements – le jeu démocratique proposé ne se transforme pas en marché de dupes. .
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