Magazine H2o | 2. LE MANIFESTE DE L'EAU : La politique actuelle de l'eau | 1er Forum Alternatif Mondial de l'Eau | Enjeux-Conférences

Dessin de tracé de fleuve

Accueil > Urgences > Enjeux > 1er Forum Alternatif Mondial de l'Eau
logo lien vers www.lemeeb.net


Florence – mars 2003
1er Forum Alternatif Mondial de l'Eau

Mots clés : Coalition Mondiale contre la Privatisation de l’Eau, Contrat Mondial de l’Eau, droit à l'eau, Florence, Forum Alternatif Mondial, ONG
Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Index du dossier
1. 1er Forum Alternatif Mondial de l'Eau
2. LE MANIFESTE DE L'EAU : La politique actuelle de l'eau
2. LE MANIFESTE DE L'EAU : Pour une autre politique de l'eau

200303_florence.jpg

Manifeste du Forum Alternatif Mondial de l’Eau

LA POLITIQUE ACTUELLE DE L'EAU



La politique actuelle de l'eau,
dont les acteurs principaux sont : la Banque mondiale, les entreprises privées de l’Eau (Vivendi Environnement, Suez, RWE, Thames Water, Southern Water, Saur Bouygues, Bechtel, ACEA, Aguas de Barcelona... mais aussi Nestlé, Danone, Coca-Cola) et les institutions créées par elles en 1996 : le Conseil Mondial de l’Eau (organisateur du Forum Mondial de l’Eau), le Global Water Partnership, avec le soutien des organisations spécialisées des Nations unies,
et promue par des groupes sociaux partisans de la mondialisation de l’économie capitaliste de marché,

se base sur trois principes fondateurs (note 1) :

  • L’eau doit être considérée principalement comme un bien économique ("économique" dans le sens des principes de l’économie capitaliste de marché). Comme le pétrole, le blé et d’autres marchandises, l’eau peut être vendue, achetée, échangée ;
  • l’accès à l’eau est un besoin vital, pas un droit humain. Encore une fois, à Kyoto, on a assisté au refus de reconnaître l’eau comme un droit. La satisfaction du besoin est du ressort de chaque individu. Les êtres humains sont des consommateurs/clients d’un bien/service qui doit être rendu accessible à travers les mécanismes de marché. Pour les individus à faible revenu dans les pays riches, il revient à l’État d’appliquer des mesures sociales visant à garantir aux distributeurs d’eau la couverture des factures d’eau non payées ;
  • l’eau doit être traitée comme une ressource précieuse ("l’or bleu"). Elle est destinée à devenir toujours plus rare et donc stratégiquement importante. La sécurité hydrique "nationale" est un problème politique central. Les conflits à cause d’usages alternatifs concurrents au sein des pays et entre pays vont s’intensifier et se généraliser.

À Kyoto, à l’occasion du 3ème Forum Mondial organisé par le Conseil Mondial de l’Eau, les représentants des gouvernements, des organisations spécialisées de l’ONU et des entreprises multinationales privées ont réaffirmé que la politique de l’eau doit poursuivre les objectifs suivants :

  • promouvoir la gestion des ressources en eau de la planète suivant le modèle élaboré par la Banque mondiale. Ce modèle se fonde sur les mécanismes de marché et sur la fixation du "juste" prix de l’eau basé sur le principe du "full cost recovery", c’est-à-dire la récupération du coût total qui inclut un retour sur les investissements assez important, qui peut atteindre même un tiers du "coût" total ;
  • agir sur l’offre d’eau en mettant en valeur les ressources pas encore utilisées, en favorisant le transport de l’eau sur de longues distances et en essayant d’augmenter la quantité d’eau douce rendue disponible grâce, en particulier, au dessalement de l’eau de mer ;
  • agir sur la demande en promouvant les usages solvables plus rentables et en espérant réduire les gaspillages et les prélèvements excessifs par des manoeuvres sur les prix (marché de la pollution, principe "qui pollue paie…").

Dans la ligne de tels objectifs, la politique dominante de l’eau promeut et "impose" :

  • la libéralisation des services hydriques dans le cadre des négociations OMC/AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), dont l’Union européenne figure parmi les plus fervents adeptes (et ce n’est pas un hasard, car les entreprises d’eau françaises, anglaises et allemandes sont les premières au monde) ;
  • la libéralisation, la déréglementation et la privatisation des services d’eau selon le principe de la conditionnalité imposé par la Banque mondiale et le FMI : un pays peut obtenir des prêts à condition qu’il libéralise, déréglemente et privatise le secteur (les secteurs) pour lequel (lesquels) il a sollicité le crédit ;
  • la priorité donnée à l’investissement privé. Cette priorité a été, une fois encore, "consacrée" par le rapport "Camdessus" sur le "Financing Water for All" présenté à Kyoto. D’après la déclaration finale du Sommet de Monterrey sur le financement du développement mondial et le rapport Camdessus, seul le secteur privé est en mesure d’assurer de manière "efficace" le financement des 100 milliards de dollars annuels supplémentaires qui, selon la Banque mondiale, (un montant exagéré) seraient nécessaires pendant 10 ans pour réduire de moitié, d’ici à 2015, le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable ni aux services hygiéniques ;
  • la privatisation de l’ensemble des services d’eau selon le "modèle" PPP, Partenariat Public Privé.


Dérives et faillite de la politique actuelle de l’eau

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • 2,4 milliards de personnes vivent sans accès aux services hygiéniques ;
  • 1,5 milliard vivent sans accès à l’eau potable saine par conséquent ;
  • 30 000 personnes meurent chaque jour de maladies dues à l’absence d’eau potable et de services hygiéniques ;
  • 600 000 agriculteurs blancs en Afrique du Sud consomment pour l’irrigation 60% des ressources hydriques du pays, alors que 15 millions de citoyens de couleur n’ont pas accès à l’eau potable ;
  • 50 % des villages palestiniens n’ont pas d’eau courante, alors que toutes les colonies israéliennes en sont pourvues,
  • 85 % du volume des eaux des fleuves de France sont pollués,
  • 40 litres est d’environ la consommation quotidienne moyenne de la population des pays "en voie de développement". En Italie, elle est de 213 litres et aux États-Unis, de 600 litres ;
  • 11 % des ressources en eau douce de la planète se trouve au Brésil, mais 45 millions de Brésiliens n’ont pas encore accès à l’eau potable ;
  • 40 % de l’eau employée pour l’irrigation se perdent par évaporation ; les pertes en eau dans les aqueducs sont de 30 à 50 %, même dans les pays dits "développés" ;
  • 140 litres d'eau potable sont consommé en moyenne par un lave-linge pour un cycle standard , la chasse des toilettes utilise 10 à 20 litres à chaque usage, un lave-vaisselle 60 litres.

En réalité, la politique poursuivie jusqu’à présent n’a été bénéfique qu’aux grandes entreprises privées et à leurs propriétaires.

Au début des années 1980, les deux principales compagnies d’eau privées opérant au niveau international (Générale des Eaux, aujourd’hui devenue Vivendi Environnement, filiale de Vivendi Universal, Lyonnaise des Eaux, devenue Ondeo, filiale de Suez) n’assuraient la distribution de l’eau qu’à 300 000 personnes en dehors de la France. En l’an 2000 les personnes servies par des entreprises privées dans le monde sont 400 millions. La banque suisse privée Pictet a prévu, il y a trois ans, que le secteur privé servira à peu près 1,7 milliard de personnes en 2015 (si la tendance à la privatisation se maintient).

Et pourtant, la privatisation des services d’eau qui, sauf exceptions locales, n’a pas encore touché la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, les États-Unis, le Québec…, ne s’est pas traduite nécessairement ni partout par une amélioration des services ou par une diminution des prix. Elle s’est encore moins traduite par une diminution de la corruption, ou dans la création d’un "cercle vertueux" des investissements. Dans la majorité des cas, surtout dans les pays du Sud, les prix sont montés en flèche, comme à Cochabamba en Bolivie, à Manille aux Philippines ou à Santa Fé en Argentine. La corruption a caractérisé l’assignation des concessions aux privés. L’endettement des pays pauvres a augmenté. L’amélioration des services dans ces pays a plutôt avantagé les groupes sociaux les plus riches.

Il est évident que l’inclusion des services d’eau dans le cadre des négociations pour l’AGCS se traduira par une grave amputation des pouvoirs démocratiques des États et en particulier des parlements régionaux et locaux en matière de régulation de l’eau sur le plan tarifaire, environnemental et social.

La privatisation signifie la privatisation du politique, c’est-à-dire le transfert du pouvoir – politique – de décision en matière d’allocation des ressources hydriques, à des sujets privés, par des sujets publics. La croyance nourrie par les sujets publics de conserver un pouvoir de contrôle sur les entreprises privées, par exemple en matière de fixation des tarifs, s’est révélée ce qu’elle est : une illusion.

Enfin, la privatisation de l’eau s’est traduite dans sa marchandisation et, donc, dans la marchandisation de la vie.

Dans ce contexte, le grand défaut de l’actuelle politique de l’eau est d’avoir démontré qu’elle est incapable :

  • de permettre à tous d’avoir accès à l’eau potable en quantité et qualité essentielles à la vie,
  • de promouvoir une utilisation et une valorisation "soutenables" des ressources en eau de la planète,
  • d'empêcher la multiplication et l’aggravation des "guerres de l’eau".