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Un peu de bon sens en matière de continuité écologique des cours d’eau

Mots clés : cours d'eau, continuité écologique, biodiversité, restauration
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Continuité écologique des cours d’eau
DU BON SENS ET DE LA CONCERTATION !

Christian  LÉVÊQUEH2o – avril 2016

 

L’idée de la continuité écologique part d’une représentation théorique des cours d’eau. Leur fonction est d’évacuer l’eau qui tombe sur les bassins versants ainsi que les sédiments qui résultent de l’érosion. Il ne faut donc pas entraver le lit de manière à pérenniser ces fonctions. À cela s’ajoute le fait que quelques espèces de poissons ont besoin de remonter les cours d’eau au cours de leur cycle biologique pour pondre dans des habitats favorables. Partant de cela (transfert de l’eau et des sédiments, et biologie de certaines espèces), on a développé l’idée que de nombreux seuils ou barrages qui fragmentent les cours d’eau sont des entraves au "bon fonctionnement" de ces derniers… et qu’il faudrait les supprimer. Sans entrer ici dans les détails, cette notion de bon fonctionnement renvoie à la représentation d’un système écologique idéal, non perturbé par l’homme.

Seulement voilà… depuis très longtemps les cours d’eau jouent un rôle essentiel dans nos activités économiques qui, pour partie, visent à satisfaire nos besoins vitaux. La multifonctionnalité des cours d’eau concerne notamment la fourniture de services tels que l’approvisionnement en eau, les transports, la fourniture d’énergie, l’autoépuration, mais aussi d’autres services de nature sociétale (services récréatifs, culturels, esthétiques, etc.) qui ont de l’importance pour les citoyens mais qui sont mal pris en compte par les mouvements de protection de l’environnement essentiellement focalisés le plus souvent sur les systèmes écologiques.

Dans nos démocraties les mouvements militants étant mieux écoutés que les citoyens, il a été décidé (sans concertation avec les riverains) qu’il fallait effacer seuils et barrages pour retrouver une certaine forme de virginité des cours d’eau bien plus importante à leurs yeux que les cours d’eau fragmentés. Par la même occasion, on pensait répondre aux injonctions de la directive européenne sur l’eau (DCE) concernant le retour au "bon état écologique", une autre expression porteuse de représentations idéologiques et dépourvue de sens précis pour un scientifique.

Il y a incontestablement un fond de vérité dans cela, car nos cours d’eau ont été très sollicités au cours des siècles précédents avec de très nombreux barrages pour la production d’énergie, mais aussi comme canaux d’évacuation des déchets, au point que certains, devenus des égouts, ont été enterrés dans les villes… Il est donc raisonnable de se donner pour ambition de restaurer nos cours d’eau. Mais on sait aussi qu’un certain nombre d’aménagements actuels sont toujours destinés à fournir de l’énergie (sous une autre forme), et que d’autres sont destinés à protéger les villes contre les crues, à l’exemple des barrages réservoirs de la Seine ! Difficile de remettre en cause ces aménagements sans susciter une véritable crise sociale. Donc, on se replie sur des aménagements considérés comme obsolètes ou n’ayant plus d’intérêt économique. Et c’est vrai que certains seuils n’ont plus d’intérêt ni écologique ni patrimonial, et que certains barrages pourraient être effacés pour permettre à des poissons migrateurs de retrouver leurs frayères.

Dans les faits on a un peu trop vite érigé en dogme cette question de la continuité écologique, car tout cela demande une étude au cas par cas, et de la concertation. Un début de mise en application un peu brutal, associé à un manque de psychologie, a suscité le mécontentement de nombreux riverains pour qui soit le moulin, soit la retenue, a aussi une signification de nature patrimoniale, économique ou ludique. Car dans la balance des coûts/bénéfices associés aux barrages on peut opposer la valeur écologique à la valeur patrimoniale et affective de certains aménagements. On ne peut ignorer aussi que nombre de retenues sont devenues des centres de loisirs et d’activité économique pour les riverains. Ces aménités sont aussi des services écosystémiques qui méritent considération au même titre que l’état écologique.

En réalité on a vu s’affronter autour de la continuité écologique, deux conceptions de la nature. L’une selon laquelle la nature a une valeur intrinsèque, et pour laquelle restaurer consiste à retrouver un état initial, parfois qualifié de pristine, en supprimant toutes les contraintes d’origines anthropiques qui sont perçues comme autant de causes de dégradation. L’autre qui consiste à penser que notre nature en Europe est une co-construction processus spontanés /activités humaines, et qu’elle est le produit d’un compromis entre des usages sans pour autant négliger les aspects éthiques et esthétiques. L’une tend à exclure l’homme pour retrouver une hypothétique nature vierge. L’autre considère que l’homme fait partie de la nature et en est un des acteurs. La question bien entendu est de se fixer un code de bonne conduite en matière d’usages, c’est-à-dire de gérer en bon père de famille comme le prescrivait le droit français.

On peut faire remarquer que le rétablissement de la continuité écologique n’aura de chances de succès que si, et même avant tout, on améliore significativement la qualité physico-chimique de l’eau. Améliorer l’habitat si la qualité de l’eau n’est pas au rendez-vous est un coup d’épée dans l’eau. D’autre part, il est incontestable que la reproduction de certaines espèces de poissons est entravée par la présence d’obstacles. Mais cela ne concerne il faut le dire que quelques espèces dont la valeur emblématique (et donc patrimoniale) est néanmoins forte (saumon, anguille, alose, etc.). Dans certains cas, il existe des solutions alternatives à l’arasement des obstacles : passes à poissons, contournement, etc.

Quoiqu’il en soit il y a deux erreurs manifestes dans les discours officiels. La première est que les aménagements n’entraînent pas une érosion de la biodiversité, comme on le dit parfois. De fait, ils créent de l’hétérogénéité et de nouveaux habitats. En aménageant on perd certaines espèces et on en gagne d’autres car la biodiversité ne se réduit pas aux seuls poissons… D’autre part, si la continuité écologique facilite les mouvements des espèces (en nombre limité néanmoins) elle ouvre des autoroutes aux espèces invasives contre lesquels on prétend lutter. Il y a là manifestement des incohérences dans les politiques.

En conclusion, un peu de bon sens et moins de dogmatisme. C’est d’ailleurs ce vers quoi les pouvoirs publics évoluent, reconnaissant que les situations doivent faire l’objet d’évaluation au cas par cas. Mais les esprits continuent d’être marqués par ce que certains considèrent comme un coup de force, et une atteinte à la propriété. On peut espérer que cette expérience servira de leçon à la future agence pour la biodiversité qui entend régenter le comportement des agriculteurs en matière de protection de la biodiversité ! ▄

 

L'auteur
Directeur de recherches émérite à l'IRD et président honoraire de l'Académie d'agriculture, Christian Lévêque est un spécialiste des milieux aquatiques continentaux. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l'écologie et la biodiversité, notamment Quelles rivières pour demain ? Réflexions sur l'écologie et la restauration des cours d'eau, venant de paraître aux Éditions Quæ