TOUT REPENSER
Pour faire face aux sécheresses, il faut avant tout revoir les usages de l’eau et repenser les systèmes agricoles
Dans un contexte de changements climatiques accélérés, et malgré les conséquences environnementales, sociales et économiques de la sécheresse qui a touché la France et l’Europe en 2022, aborder ce type d’événement selon une approche globale ne semble toujours pas être placé au rang des priorités pour 2023.
Olivier HÉBRARD
expert consultant en agroécologie, permaculture et sciences de l’eau
tribune publiée dans Le Monde – janvier 2023
H2o – mars 2023
Dans le langage courant, il est d’usage de parler de sécheresse de manière générique, cependant, la science en distingue trois types différents. La sécheresse météorologique est un déficit prolongé de précipitations. La sécheresse édaphique correspond à un manque d’eau dans les sols, alors que la sécheresse hydrologique se rapporte à la situation d’un déficit des débits des cours d’eau et à un niveau bas des nappes et des lacs.
Parmi les multiples fonctions écologiques qu’elle peut jouer, l’agriculture a un rôle majeur dans la gestion des sécheresses édaphiques et hydrologiques. Même si les pratiques évoluent favorablement, l’agriculture dite "conventionnelle" domine encore très largement en France. Ce modèle d’agriculture qui contribue au réchauffement climatique est en outre peu résilient face aux aléas climatiques, notamment les sécheresses. La prégnance de sols laissés sans végétation pendant de longues périodes, le travail répété des sols en profondeur, le faible niveau de biodiversité, les parcelles trop grandes, les semences inadaptées, l’usage des pesticides chimiques et des engrais minéraux sont autant de facteurs qui font perdre aux sols leur capacité à freiner, retenir, absorber et stocker les eaux dans le sol, le sous-sol et les aquifères. Ainsi, alors que les eaux de pluie devraient pleinement bénéficier aux sols, à la végétation et soutenir l’étiage des cours d’eau, bien trop souvent elles partent rapidement vers la mer en emportant les sols et en générant parfois crues et inondations.
Cautionner un système irrationnel, aujourd’hui obsolète
Bon nombre d’agriculteurs, parfois piégés par le modèle économique qui leur a été conseillé par l’administration, préfèrent éviter de remettre en question leurs pratiques et leurs usages de l’eau, et recherchent plutôt des moyens d’avoir accès à toujours plus de ressources pour irriguer. Selon le niveau de gravité des sécheresses hydrologiques, des arrêtés de restriction des usages de l’eau peuvent être pris par les autorités préfectorales, qui peuvent aller au niveau de gravité le plus élevé, dit "de crise", jusqu’à l’interdiction de l’irrigation, sauf dans le cas des "prélèvements à partir de retenues de stockage déconnectées de la ressource en eau en période d’étiage". Conséquence de cette exception-là, les projets de retenues se multiplient ainsi un peu partout sur les territoires.
Si, dans certaines situations locales, des retenues bien calibrées peuvent se justifier, elles ne font bien trop souvent qu’accentuer la baisse des niveaux d’étiage par la ponction hivernale des ressources. La multiplication des projets de retenues destinées à l’irrigation de cultures industrielles telles que le maïs pour l’alimentation animale ne fait que soutenir et cautionner un système irrationnel, aujourd’hui obsolète, qui depuis de nombreuses années contribue largement à l’accentuation des sécheresses édaphiques et hydrologiques des régions agricoles. Le cas médiatisé de la mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, en est le symbole actuel.
Un autre exemple de dérive est celui de la vigne, plante qui, si elle est bien gérée, supporte relativement bien les sécheresses édaphiques, même sans irrigation. Si, en l’absence d’orages estivaux, un arrosage ponctuel de la vigne peut éventuellement se justifier, de même que l’irrigation des jeunes plants, aujourd’hui, beaucoup trop de viticulteurs et de vignerons irriguent déraisonnablement les parcelles de vigne afin de maximiser le volume de vin produit et ce, souvent au détriment du terroir et de la qualité de la production.
Malgré les fortes tensions sur la ressource en eau et les conflits d’usage apparus ces dernières années en lien avec ce type de pratiques, dans certaines régions viticoles telles que le Languedoc, les projets d’extension de réseaux d’irrigation se multiplient, de même que les projets de création de retenues.
Production agricole et régénération des milieux
Face aux problématiques actuelles de la disponibilité de l’eau dans les régions agricoles, la réponse ne consiste pas à prospecter de nouvelles ressources, ni à créer de nouveaux moyens de stockage permettant de passer au-delà des arrêtés préfectoraux de crise, mais avant tout à revoir les usages et à repenser les systèmes agricoles.
Partout sur les territoires, dans une diversité de sols et de climats, de plus en plus d’agriculteurs démontrent la capacité de l’agroécologie paysanne à produire dans des systèmes économiquement viables, tout en contribuant à nourrir les territoires de manière locale et saine. Cette vision, qui va bien au-delà du cahier des charges de l’agriculture biologique, repose notamment sur une approche holistique, une valorisation optimisée de la ressource en eau et de la photosynthèse, dans un objectif double de production agricole et de régénération des milieux. Elle se base sur des mécanismes naturels qui favorisent d’une part la rétention de l’eau dans les sols au bénéfice de la végétation et, d’autre part, l’infiltration dans le sous-sol et les aquifères permettant de soutenir l’étiage des sources et des cours d’eau. En visant d’une certaine manière à transformer les milieux en éponges géantes qui restituent progressivement les eaux de pluie, l’agroécologie paysanne est une réponse aux enjeux climatiques.
Consommateurs, agriculteurs, industriels, institutionnels et politiques, chaque acteur du système alimentaire peut, à sa mesure, jouer un rôle pour favoriser le développement de ces modèles agricoles vertueux. L’urgence d’agir frappe à notre porte. ▄
- L'auteur
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Olivier Hébrard a obtenu un doctorat en 2004 à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Montpellier, au sein du Laboratoire d’étude des interactions entre sol, agrosystème, hydrosystème. Il est en outre l’animateur du site Natura 2000 du Valat de Solan (Gard), géré intégralement en agroécologie.
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