Libye, déshéritée mais aussi tellement riche
l’interview de Omar M. SALEM
président de l’Autorité générale de l’eau – Libye
propos recueillis par Martine LE BEC
Sources Nouvelles, IRC – mars-avril 2005
H2o – mai 2005
85 % des Libyens vivent aujourd’hui en ville… avec un niveau de vie quasiment équivalent à celui des Occidentaux. La manne pétrolière et la découverte d’importants gisements d’eau fossile dans le Sahara permettent de répondre à une demande sans cesse grandissante. La préoccupation de l’eau reste néanmoins entière, avec aussi la volonté d’aligner le pays sur les standards occidentaux en matière d’assainissement.
Dans quels termes se pose la question de l'eau en Libye ?
La Libye dépend à 98 % des eaux souterraines, non renouvelables pour une large part. Seuls quelques aquifères du nord, où les précipitations annuelles dépassent les 300 mm reçoivent une recharge. Afin de répondre aux besoins d'une population en forte croissance (6 millions d’habitats dont 80 % concentrés sur la bande côtière), ces aquifères ont été surexploités ; leur qualité s'en trouve de fait sérieusement détériorée. Cette situation justifie les importants transferts interbassins qui ont été mis à l'oeuvre depuis 1983. Le programme GMR (Great Man made River – en français, la Grande Rivière Artificielle) couvre aujourd’hui plus de 50 % de nos besoins domestiques.
La Grande Rivière Artificielle constitue le programme d'exploitation d'eaux fossiles le plus gigantesque jamais réalisé. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?
Le projet de la Grande Rivière Artificielle est parti de la découverte d’importants gisements d’eau fossile saharienne. D’où l’idée, annoncée en 1983, de transférer l’eau des régions désertes du Sahara vers les régions peuplées du littoral. Le projet a été défini sur 50 ans, et devra à terme permettre le transfert de plus 2,5 milliards de m3 par an. Lors de la première phase, près de 2 000 kilomètres de canalisations ont été posées, reliant les puits des champs de Sarir et de Tazerbo au réservoir d’Ajdabiya sur la côte ; ils approvisionnent la région de Benghazi et la région côtière jusqua Sirte. De nouveaux puits ont été mis en service dans la région de Sebha (Jabal Hasawna) ; ils alimentent une conduite en direction de Tripoli, approvisionnée depuis 1997. Aujourd’hui près de 1 million de m3 d’eau sont ainsi chaque jour transférés. La troisième phase vient de raccorder les deux branches principales le long de la côte. Les autres phases seront de développer les captages plus au Sud (Koufra) et aussi aux points extrêmes Est (Jaghoub) et Ouest (Ghadamès) du pays.
Y a-t-il parallèlement des investissements réalisés vers d’autres sources d’approvisionnement telles le dessalement ?
Le dessalement fournit un peu plus de 20 millions de m3 d’eau potable par an. Mais d’importants investissements vont être réalisés dans ce domaine afin de fournir, d’ici à 2010, un million de m3 par jour. Le programme a été placé sous la direction de la General Electricity Company of Libya (GECOL). Parallèlement des efforts devront être faits en matière de recyclage des eaux usées.
Quel est aujourd’hui, en Libye, le taux de couverture en matière d’eau potable et d’assainissement ?
Entre 80 et 85 % pour l’eau potable et 48 % pour l’assainissement, ce qui correspond quasiment aux "standards" européens… Le Comité populaire général a aussi adopté un programme national pour l’eau et l’assainissement (National Program for Water and Waste Water) qui est entré en application en août dernier. Le programme, qui est assorti de 5 milliards de dinars (3,2 milliards d’euros), couvre la sécurité des approvisionnements, l’assainissement (avec la mise en œuvre de nouvelles stations et l’extension des réseaux) ainsi que l’implantation d’unités de dessalement tout le long du littoral. Il s’agit aussi d’homogénéiser les services au niveau des différentes chabbiyat (provinces)
Les besoins en eau sont directement fonction du niveau de vie. En dépit des privations successives, la Libye dispose aujourd’hui du plus haut revenu par tête de toute l’Afrique. Avec 7 000 dollars par an, le Libyen est deux fois plus riche qu’un Marocain ou un Tunisien, trois fois plus qu’un Égyptien ; et seulement deux fois moins qu’un habitant du Bahreïn. Comment se traduit cette "aisance" en matière de consommation d’eau ?
Par une consommation excessive… 280 litres par habitant et par jour : ce qui dépasse la consommation moyenne européenne. A Koufra, en plein désert mais où la nappe affleure la surface du sol, la consommation s’établit même entre 700 et 800 litres par jour : c’est deux fois plus qu’au États-Unis ! Nous avons encore de sérieux efforts à fournir en matière d’éducation. .