LA CONCERTATION SUR L'EAU
se fonde sur
des règles établies, une périodicité et la bonne gouvernance
l’interview de Mamadou DIA
directeur général de Sénégalaise des Eaux
président de l’Association Africaine de l’Eau
propos recueillis par Martine LE BEC
Africités, Marrakech (Maroc) – décembre 2009
Sources Nouvelles, IRC – 1er trimestre 2010
Sources Nouvelles / H2o : Quel "bilan de l’eau" pourrait-on tirer pour l’Afrique de la décennie qui s’achève ?
Mamadou Dia : La déclaration des Objectifs du millénaire pour le développement (signée en 2000) a permis des avancées significatives sur la question de l’eau et de l’assainissement. L’ensemble des pays africains ont mis en place des cadres institutionnels adaptés en vue d’atteindre ces objectifs. Concrètement, des progrès significatifs ont été réalisés dans beaucoup de pays sur les taux d’accès ; plusieurs de ces pays atteindront les objectifs d’ici 2015. Néanmoins, la situation fait que la priorité de la nouvelle décennie restera la lutte contre la pauvreté et l’amélioration des conditions d’hygiène et de santé. L’accès à l’eau et à l’assainissement participe directement à ce défi.
Comment améliorer les politiques locales de l’eau et rendre plus efficaces les cadres de concertation ? Comment aussi peuvent se définir les responsabilités entre l’État et les collectivités ?
Effectivement, il est important que le rôle et la responsabilité des acteurs soient bien définis. Mais il est aussi important qu’en amont l’État, dans la définition de la politique d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, associe les collectivités locales. C’est cette concertation, matérialisée par des actes législatifs et réglementaires, qui peut permettre aux communes de s’insérer dans un dialogue fructueux avec l’opérateur, le plus souvent, choisi par l’État. Il faut imaginer des mécanismes de concertation régulière, organisée sous l’égide d’un Conseil national de l’eau entre les associations de consommateurs, les associations municipales et les usagers, regroupés au sein de conseils de quartiers. Cette concertation doit être parfaitement régie et se fonder sur une périodicité et sur la bonne gouvernance. La transparence permet d’instaurer un climat de confiance entre les différents acteurs, au bénéfice des populations. Car quoi qu’on en dise, l’objectif est commun. Que ce soit pour l’État, pour les collectivités, pour l’opérateur ou pour les associations de consommateurs, le point focal est la satisfaction des besoins de l’usager, qui doivent être satisfaits dans conditions acceptables et à des tarifs aussi socialement adaptés.
L’opérateur principal, choisi par la puissance publique, a parfois du mal à couvrir certains quartiers périurbains, dans les faits "occupés" par des opérateurs locaux. Comment dès lors organiser cette "polygamie" de fait ?
Je pense que l’opérateur principal doit toujours être contractualisé avec des opérateurs locaux dans les zones périurbaines. Dans les faits, cela dépend du schéma institutionnel. C’est effectivement aux États qu’il revient de définir tous les aspects relatifs à la politique hydraulique, à la qualification, à la protection de la ressource et à la sensibilisation aux économies. Dans ce cadre, en fonction du contexte local, des privés locaux peuvent être intégrés comme c’est le cas dans plusieurs pays africains, notamment anglophones, par exemple en Tanzanie ou au Kenya, où des opérateurs locaux interviennent dans le processus et en relation avec les collectivités locales.
Quels doivent être les principes d’une politique de branchements sociaux et d’une tarification sociale de l’eau ?
Penser ou dire, comme on le fait souvent, que la présence d’un opérateur est synonyme de profit et de rentabilité, me paraît une fausse querelle parce qu’aujourd’hui, s’il y a une volonté politique, l’opérateur l’appliquera. Au Sénégal par exemple, une société de patrimoine prend en charge l’accès à l’eau potable des populations démunies dans les zones périurbaines. D’abord, l’accès aux branchements sociaux est fait gratuitement. Ensuite, le tarif fait l’objet d’une péréquation nationale. Enfin, les tarifs domestiques sont de 0 à 20 m3 subventionnés et exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ces mesures permettent aux revenus les plus faibles d’accéder à l’eau potable. Dans le cadre d’un affermage, l’opérateur va évidemment définir son coût d’exploitation et un prix au mètre cube. Mais au final, il y a une égalité de traitement parce que ce prix n’apparaîtra pas sur la facture du client. Ce qui apparaît, c’est la tarification nationale qui a été retenue avec la péréquation nationale et les subventions de la tranche sociale. Ce système est essentiel pour améliorer l’accès des populations à l’eau potable.
Quel est le planning des débats de l’Association africaine de l’eau pour son prochain congrès ?
L’Association africaine de l’eau organise, du 15 au 18 mars 2010, son congrès à Kampala, en Ouganda. Cette date coïncide avec le trentième anniversaire de l’association. Le thème principal est : " Eau et assainissement : quelles perspectives face aux enjeux énergétiques et au changement climatique ?". Les entreprises de l’eau et de l’assainissement, dont l’activité est de plus en plus fortement impactée par le coût de l’énergie et les aléas climatiques, notamment les inondations, se doivent de participer à ce débat, donner leur position et indiquer de nouvelles pistes. Il est important pour l’Afrique d’innover et de créer. Je demande si nos pays ne sont d’ailleurs pas en train de rater une marche : le continent a du vent, beaucoup de vent, du soleil, beaucoup de soleil… Ne devrait-on pas être en train de bâtir des centrales solaires et éoliennes qui pourraient conduire à la création d’un tissu industriel à partir des énergies vertes ? Il est temps aujourd’hui de réfléchir à ces options et regarder comment dans les villages et dans les petites et moyennes collectivités, les énergies renouvelables peuvent être mises en œuvre pour faciliter l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Le congrès de mars sera à ce niveau un événement. Nous avons invité de grands spécialistes de l’environnement, de l’énergie ainsi que du management et de la gestion de service public afin de nous concerter pendant trois jours sur cette problématique du changement climatique. .