INONDATIONS
Et si la rivière devenait votre alliée ?
De tout temps, l’homme a voulu dompter la rivière, rectifier son cours,
aménager ses rives et ériger des digues pour se protéger des
inondations. Et il continue de s’installer toujours plus près de l’eau
en oubliant les risques. Mais emprisonner les rivières dans des digues trop étroites coûte cher et a des effets pervers...
Laurent ROY
directeur général – Agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse
H2o – septembre 2015
De tout temps, l’homme a voulu dompter la rivière, rectifier son cours, aménager ses rives et ériger des digues pour se protéger des inondations. Et il continue de s’installer toujours plus près de l’eau en oubliant les risques. Le ministère de l’Écologie recense ainsi 11 % de la population française vivant dans des zones à risque d’inondation.
Mais emprisonner les rivières dans des digues trop étroites coûte cher et a des effets pervers : on déplore chaque année des morts suite à des ruptures de digues parce que les eaux furieuses submergent les berges aménagées dès lors qu’elles ne peuvent plus s’épandre naturellement. Aujourd’hui, avec le dérèglement du climat, les épisodes pluvieux intenses tendent à devenir de plus en plus violents et obligent à revoir notre mode de gestion des rivières.
Pourtant, on peut contribuer à la sécurité des populations face aux crues tout en redonnant un fonctionnement plus naturel à la rivière. C’est l’enjeu fort de la gestion des rivières des prochaines années avec la nouvelle compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) créée par la loi métropole de 2014 et confiée aux intercommunalités. Des exemples concrets, déjà à l’œuvre dans de nombreux territoires, montrent ainsi qu’une autre gestion des rivières est possible, autour de trois idées clés : laisser plus d’espace à la rivière, ralentir les écoulements des eaux et gérer l’eau globalement par bassin versant.
Reculer les digues
En cas de crue, le confinement et l’étroitesse des rivières serrées entre les digues sur berges accélèrent les débits et empêchent les eaux de s’épandre dans le lit majeur. Les rivières débordent et inondent avec encore plus de force les habitations riveraines plus en aval. La nouvelle gestion des rivières, c’est reculer les digues quand c’est possible de façon à mieux les dimensionner pour augmenter la capacité d’écoulement de l’eau, réduire sa vitesse et limiter les coûts d’entretien. À Taninges (Haute-Savoie), le coût de la réfection de la digue des Thézières a été estimé à 3 millions d’euros contre 1,2 million pour un recul de l’ouvrage : soit une économie de près de 2 millions d’euros, avec une efficacité démontrée lors des crues du printemps 2015.
Laisser plus d’espace à la rivière, c’est aussi préserver des champs d’expansion de crue dans des secteurs non urbanisés, en collaboration avec les utilisateurs de ces milieux, en particulier les agriculteurs, pour limiter l’ampleur des inondations en stockant l’eau et en écrêtant les écoulements. Dans la vallée de l’Argens (Var) par exemple, il existe un vrai potentiel de 15 000 hectares d’espaces naturels ou peu aménagés qui pourraient être mobilisés.
Enfin, il est nécessaire de reconnecter la rivière avec ses zones humides et ses boisements de rive qui peuvent stocker l’eau naturellement et la restituer pour alimenter les nappes souterraines et redonner de l’eau à la rivière l’été.
Freiner le débit de l’eau
Une rivière dont on a rectifié le tracé accélère la vitesse des eaux lors des crues et aggrave les inondations à l’aval. Près de 50 % des cours d’eau ont subi ce type d’aménagements. La solution est de freiner l’eau de la rivière en recréant des méandres, en lui laissant ses graviers pour dissiper son énergie. Lorsque les flots ralentissent, le pic de crue est retardé, ce qui laisse plus de temps pour anticiper. Cette restauration améliore également la qualité de l’eau, sa biodiversité, ses échanges avec les eaux souterraines.
Après la renaturation du Vistre (Gard), les riverains constatent aujourd’hui le ralentissement des écoulements en période de crues grâce à l’effet conjugué du reméandrage, du reboisement des berges et de la restauration de zones humides qui peuvent stocker jusqu’à 40 000 mètres cubes d’eau. La crue notable de 2005 n’a occasionné aucun dégât sur les secteurs aménagés. C’est une réussite !
Construire la solidarité amont-aval
L’union de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) sera effective au 1er janvier 2018. C’est l’occasion de rappeler une évidence : on n’a jamais vu une crue s’arrêter aux frontières d’une commune. La seule unité de gestion possible pour un cours d’eau, c’est le bassin versant. Beaucoup de communes et d’intercommunalités délèguent donc ces missions à des syndicats de rivière. .
- ResSources
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Laurent Roy est directeur général de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse depuis le 15 juin 2015. Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, il a débuté sa carrière professionnelle en tant que directeur départemental adjoint de l’agriculture et de la forêt, puis a occupé les fonctions de chef du service de l’espace rural et de l’environnement. En 1995, il devient adjoint au directeur régional de l’environnement de Champagne-Ardenne, et chef du service de l’eau et des milieux naturels. De 1997 à 2000, Laurent Roy est conseiller technique au cabinet de la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, chargé de l’agriculture, de l’eau et de la mer. Directeur régional de l’environnement entre 2001 et 2007, il sera aussi directeur de l’industrie, de la recherche et de l’environnement de Picardie entre 2005 et 2007. Il occupera ensuite les mêmes postes de directeur en Provence Alpes Côte d’Azur de 2007 à 2009. Depuis 2009, Laurent Roy était directeur régional de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
L'agence de l'eau Rhône-Méditerranée Corse met son expertise à la
disposition des communautés de communes pour les guider dans ces
évolutions et définir la manière de transférer ou déléguer la compétence
à des syndicats mixtes de rivière. Elle lance un appel à projets de 25
millions d’euros pour financer leurs opérations de gestion des milieux
aquatiques qui concourent à la prévention des inondations. Elle a déjà
doublé ses moyens pour les milieux à un niveau considérable de 414
millions d’euros dans son programme d’actions sauvons l’eau (2013-2018),
et est prête à les déployer sur la GEMAPI.
Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse
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