Henri SMETS – Académie de l'EauMots clés : approvisionnement, assainissement, eau, Johannesburg, OMD, Objectifs du Millénaire, pauvreté |
Sera-t-il possible de satisfaire aux objectifs de Johannesburg dans le domaine de l'eau ?Oui, mais en agissant autrement...
par Henri SMETS
Dans le cadre du Sommet de Johannesburg, les pays développés et les
pays en développement sont convenus de réduire de moitié avant 2015 la
proportion de personnes sans approvisionnement en eau potable ou sans
assainissement de base dans chacun de leurs pays. Il en résulte que les
pays où l’accès à l’eau est le plus faible auront à accomplir les
efforts les plus grands et qu’ils seront d’autant plus difficiles à
financer que le coût le plus élevé serait à la charge des pays les plus
pauvres. 1. Le coût des investissementsLe coût des investissements nécessaires pour satisfaire dans les pays en développement aux objectifs adoptés à Johannesburg a fait l’objet des plusieurs estimations assez sommaires. Plusieurs méthodes ont été utilisées mais sont rarement explicitées. Les données sur lesquelles ces estimations sont calculées ne sont généralement pas disponibles. Tout le monde sait que ces estimations sont fragiles mais rares sont ceux qui n’avancent pas un chiffre à l’appui de leurs thèses. Les diverses estimations des dépenses à consentir pour satisfaire aux objectifs de Johannesburg sont comprises entre 10 et 30 milliards de dollars par an en plus des dépenses d’investissement actuellement consenties pour donner accès à l’eau potable et à l’assainissement (environ 8 à 15 milliards de dollars par an). Il n’est pas indifférent que 7 ou 20 milliards de dollars de plus par an soient dégagés chaque année pour l’eau si l’on admet que le supplément d’aide au développement qui sera alloué pour combattre la pauvreté dans tous ses aspects n’est que de 16 milliards de dollars par an et que l’accès à l’eau ne constitue que l’un des multiples objectifs à satisfaire en matière de développement économique et social (Objectifs du Millénaire). Le calcul du coût des investissements à mettre en place pour l’eau des ménages dépend d’une estimation de la population déjà desservie et à desservir dans l’avenir dans les zones urbaines et rurales, du type d’investissements à prévoir et du coût unitaire des investissements selon le service rendu. Ces différentes grandeurs sont mal connues et, par conséquent, les estimations peuvent varier dans de larges proportions. S’il peut être utile pour les uns de “gonfler” les estimations pour obtenir plus de crédits, il est décourageant pour d’autres d’imaginer que la solution des problèmes fondamentaux d’accès à l’eau soit hors de portée dans les délais fixés compte tenu des multiples autres priorités à satisfaire.
Le calcul direct des investissements à prévoir au titre des
objectifs de Johannesburg amène à conclure qu’il sera nécessaire de
doubler les investissements actuels pour améliorer l’accès à l’eau et
l’assainissement dans les pays en développement. Plus précisément, il
faudra faire passer les investissements pour le branchement des
personnes non desservies de 10 à 20 milliards de dollars par an dans
les pays en développement. Cette estimation est intermédiaire entre
celles faites par le WSSCC et celles provenant de la Banque mondiale.
Elle paraît réaliste mais est évidemment entachée d’incertitudes. Par
ailleurs, ce montant ne comprend pas les investissements destinés à
maintenir les réseaux actuels en fonctionnement, les investissements de
traitement des eaux usées et les investissements pour l’eau utilisée
par l’agriculture, l’industrie ou les services. 2. La répartition du financement des investissementsSi l’on accepte cette estimation, il convient de vérifier dans quelle mesure les pays en développement sont en mesure de financer les nouveaux investissements pour l’eau des ménages et dans quelle mesure les pays développés pourront leur apporter une aide. En 15 ans, la croissance économique dans la plupart des pays concernés devrait leur permettre d’augmenter leurs investissements dans le secteur de l’eau et de financer dans une large mesure l’augmentation envisagée des dépenses nécessaires pour atteindre les objectifs de Johannesburg dans le domaine de l’eau. Dans le cas de l’Afrique sub-saharienne, qui a des problèmes importants d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement, la croissance économique prévue est malheureusement insuffisante pour financer les investissements à réaliser. Dans ces conditions, il ne suffira pas de poursuivre les tendances actuelles et il faudra demander aux parties concernées d’augmenter leurs contributions financières de sorte à aboutir à une couverture intégrale des coûts des investissements importants à réaliser dans ces pays. La partie des investissements prise en charge au plan national sera répartie entre les contribuables (subventions), les usagers déjà desservis (péréquation tarifaire) et les nouveaux usagers (droits de branchement). En Afrique, beaucoup de nouveaux usagers sont extrêmement pauvres et ne pourront pas consacrer plus d’un ou deux pour cent de leurs maigres revenus aux investissements effectués à leur bénéfice dans le secteur de l’eau, ce qui n’en représente qu’une faible part. Les autres usagers pourront supporter, au titre de la solidarité nationale, une augmentation de leurs dépenses pour l’eau en vue de financer le coût de ces nouveaux investissements. Toutefois ce transfert est limité car la plupart des usagers desservis en eau ne sont pas prêts à consacrer une part significative de leurs revenus pour subventionner l’eau des plus pauvres. Pour parvenir au résultat recherché, il suffirait sans doute que les usagers déjà desservis acceptent de payer leur eau à son vrai coût et non à un coût subventionné. L’augmentation du prix de l’eau – dans un premier temps, pour couvrir les coûts de fonctionnement et dans un deuxième temps, pour amortir les investissements – est une politique qui n’a pas eu beaucoup de succès dans les pays en développement car elle aboutit principalement à augmenter le prix de l’eau pour les moins pauvres qui ne sont pas prêts à abandonner leur privilège. Aussi peut-on conclure que si la solidarité des riches envers les pauvres est admise par tous, elle ne financera qu’une part limitée de l’eau des pauvres car les riches ne consentiront, au bénéfice de l’eau des plus pauvres, qu’à une faible augmentation du prix qu’ils payent eux-mêmes pour l’eau. Une autre solution consisterait à augmenter la part des subventions gouvernementales dans les services de l’eau, services qui sont déjà fortement subventionnés. Ceci implique de consacrer à l’eau une plus grande part des investissements publics et de réduire d’autres dépenses publiques. Comme les dépenses publiques dans des domaines connexes prioritaires, telles que la santé publique, sont assez faibles dans les pays les plus pauvres, il sera difficile de dégager des ressources importantes pour l’eau par une simple réallocation budgétaire. Une autre voie serait d’augmenter les déficits budgétaires et l’inflation faute d’une augmentation adéquate des impôts. On constate que ces approches ne peuvent être menées durablement dans le cas de pays très pauvres. Pour compléter les moyens financiers nationaux qui se révèlent insuffisants dans les pays les moins avancés, il sera nécessaire d’augmenter l’aide internationale pour améliorer l’approvisionnement en eau et l’assainissement. Compte tenu du fait que l’augmentation prévue de l’aide au développement pour combattre la pauvreté est de l’ordre de 16 milliards de dollars par an et que seule une partie de cette augmentation (au maximum 25 %) pourra raisonnablement être consacrée à l’eau, le volume maximum prévisible d’augmentation de l’aide pour l’eau ne pourra sans doute pas excéder environ 4 milliards de dollars par an.
Lorsque l’on met ensemble les différentes contraintes financières,
il apparaît possible de financer un accroissement des investissements
dans le secteur de l’eau dans les pays en développement à concurrence
de 10 milliards de dollars par an en faisant appel à la solidarité tant
au plan national qu’au plan international. À cette fin, il faudra
recourir à des techniques peu coûteuses et veiller à desservir un
maximum de personnes dans le cadre des enveloppes financières
disponibles. Plus les programmes d’investissements dans le secteur de
l’eau seront coûteux, moins il sera possible d’atteindre les objectifs
de Johannesburg car il semblera difficile possible de dégager des
ressources financières additionnelles importantes. 3. Aider sans délai l’Afrique sub-saharienne
Le cas des pays les moins développés mérite une attention particulière
du fait des problèmes aigus de pauvreté et de santé publique qui s'y
posent. Les investissements nécessaires pour satisfaire aux objectifs
de Johannesburg dans le domaine de l’eau sont estimés à environ 3,4
milliards de dollars par an en Afrique sub-saharienne et concernent
pour l’essentiel une population très pauvre dont le revenu journalier
est bien inférieur à 1 dollar par habitant. Selon les objectifs de
Johannesburg, il faudra fournir l’accès à l’eau à 320 millions de
personnes en 15 ans. Si ces personnes consacrent 1 % de leurs faibles
revenus aux investissements dans le secteur de l’eau, leur contribution
financière pourrait atteindre 640 millions de dollars par an. Les
contribuables et les autres usagers de l’eau pourraient probablement
consacrer 0,5 % du PIB aux investissements additionnels dans le secteur
de l’eau, ce qui impliquerait une augmentation de 30 % de leurs
dépenses pour l’eau afin de financer l’eau des pauvres (1,6 milliard de
dollars par an). Pour couvrir l’intégralité des coûts
d’investissements, il faudra que l’aide additionnelle atteigne 1,2
milliard de dollars par an. Comme l’aide actuelle pour l’eau en Afrique
sub-saharienne n’est que de 600 millions de dollars par an, il faudrait
que cette aide soit triplée et prenne la forme de dons. Si le coût des
investissements à réaliser est plus élevé que celui évoqué ci-dessus,
l’augmentation de l’aide devra être encore plus élevée, ce qui posera
des difficultés aux pays donateurs. Pour une coopération plus solidaire tournée vers l'actionAu cours des dernières années, les pays industrialisés ont réduit leur aide pour l’eau et, au même moment ils se sont fixé des objectifs ambitieux en matière d’accès à l’eau, objectifs d’autant plus ambitieux que l’essentiel de l’effort devait être fait dans les pays en développement. S’il va de soi que la solidarité internationale doit suppléer à l’absence de moyens financiers dans les pays les moins avancés, les pays industrialisés n’ont pas pris jusqu’ici des engagements concrets en matière de financement de l’aide pour l’eau. Or, sans un accroissement important de cette aide, il sera impossible de satisfaire aux objectifs de Johannesburg et sans un engagement ferme d’augmenter cette aide, les pays en développement risquent de ne pas engager les réformes souhaitables en matière de gouvernance et de santé publique. L’analyse effectuée montre qu’il est nécessaire que les pays développés doublent leur aide pour l’eau et financent donc une aide supplémentaire de 3,4 milliards de dollars par an afin de permettre aux pays en développement d’atteindre les objectifs de Johannesburg dans le domaine de l’eau. À cette fin, ils pourront utiliser une part de l’augmentation envisagée des crédits d’aide au développement qu’ils se sont engagés à financer. Simultanément les pays en développement devront mettre en place les mécanismes qui financeront leur part dans ces investissements nouveaux. Ils devront augmenter le prix de l’eau ou les impôts plutôt que les déficits publics et améliorer la gouvernance de l’eau pour que les investissements soient gérés de façon durable. Sans une action des uns et des autres, l’accès à l’eau ne sera pas suffisamment amélioré et les objectifs de Johannesburg ne seront pas atteints.
L’augmentation indispensable de l’aide pour l’eau devrait être
modulée selon l’étendue des besoins de sorte que les pays les plus
pauvres, par exemple, ceux d’Afrique sub-saharienne, bénéficient au
minimum d’un triplement de l’aide pour l’eau pour atteindre 1,8
milliard de dollars par an alors que l’aide pour l’eau dans son
ensemble serait seulement doublée. La France peut prendre des initiatives pour améliorer l'accès à l'eau pour tousS’il ne paraît pas possible d’aboutir rapidement à un accord au plan mondial pour augmenter de manière substantielle l’aide pour l’eau, il faudra néanmoins venir en aide aux pays les plus démunis sans se préoccuper de l’attitude adoptée par d’autres pays. La solidarité à l’égard de l’Afrique en matière d’accès à l’eau est un domaine dans lequel l’Europe et, en particulier, la France pourraient jouer un rôle plus important en prenant des mesures concrètes en harmonie avec les déclarations officielles. Ceci ne se conçoit que dans la mesure où cette aide répond à une demande de la part des populations directement concernées car les demandes émanant des administrations centrales semblent plutôt privilégier d’autres secteurs. La France pourrait augmenter ses activités de coopération au niveau central dans le domaine de l’eau, dont le volume a beaucoup régressé aux cours des dernières années, et encourager également la coopération décentralisée. Elle pourrait donner l’exemple en fixant des objectifs quantifiés pour l’accroissement de son aide bilatérale pour l’eau, notamment à l’égard de ses partenaires en Afrique. Elle pourrait soutenir plus fortement les ONG françaises dans leurs actions en Afrique dans le domaine de l’eau et faciliter les actions des agences de l’eau et des entreprises françaises du secteur de l’eau sous forme d’une contribution assise sur les volumes d’eau consommés et destinés à des actions humanitaires. Malgré les difficultés budgétaires actuelles, la France pourrait se fixer l’objectif de consacrer 100 millions d’euros supplémentaires par an dans le secteur de l’eau en Afrique sub-saharienne, ce qui lui permettrait de prendre en charge le quart des investissements nécessaires pour améliorer l’accès à l’eau dans ces pays. La proposition française d’un Observatoire de l’eau pourrait être mise en œuvre sous forme d’un audit des projets d’aide pour l’eau menés en coopération avec la France dans quelques pays d’Afrique. Un tel audit serait effectué avec la participation des acteurs du développement ainsi que les partenaires africains. Une politique plus solidaire dans le domaine de l’eau implique que la France prenne des initiatives sans attendre que tous les pays industriels agissent comme elle. L’accès à l’eau a une dimension humanitaire qui exige une démarche généreuse qui serait concertée avec d’autres pays prêts à agir de même et sans tarder. En particulier, il serait bon que chaque citoyen européen se sente responsable de fournir l’accès à l’eau à un citoyen africain qui en est dépourvu ou les moyens financiers qui permettront de progresser dans cette voie. Il serait très souhaitable que la France et plus généralement l’Europe fasse le “geste d’humanité des riches à l’égard des pauvres” dont parle le Président J. Chirac en vue de faire sortir au moins une partie des plus démunis des cauchemars de la faim, de la misère et de la maladie qu’entraîne le manque d’eau saine. .
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