Planète AquaRepenser notre demeure commune dans l’univers Mots clés : Nous vivons sur la planète Aqua et cela change tout |
Jeremy RIFKIN
L’ambition du nouveau livre capital de Jeremy Rifkin, "Repenser notre demeure commune dans l’univers", définit exactement cet incroyable chef-d’œuvre. Rifkin nous demande bel et bien de repenser tout ce que nous savons et tout ce que nous faisons.
Quand les humains ont décidé de domestiquer les vastes eaux de notre planète à l’usage exclusif de notre espèce, une bombe à retardement s’est mise en marche et le jour fatidique arrive. Le livre de Jeremy Rifkin Planète Aqua nous demande d’écouter le cri qui monte du cœur même de la nature : il nous avertit que le premier moteur de la vie dans notre petit coin de l’univers est l’hydrosphère, et pas l’"humanosphère". Aujourd’hui, l’hydrosphère brise ses chaînes dans les épreuves du réchauffement de la planète, avec des inondations diluviennes au printemps, des sécheresses, vagues de chaleur et incendies dévastateurs en été et de terribles ouragans en automne, et elle nous emporte vers une extinction. Rifkin nous a donné une puissante marche à suivre pour repenser notre foyer dans l’univers, en nous rappelant que nous vivons sur une planète d’eau, pas sur une planète de terre, et que cela change tout. Puissions-nous l’écouter ! Introduction (extraits) Et si, en ouvrant les yeux un matin, nous – je veux dire nous tous, les huit milliards d’êtres humains – constations que le monde auquel nous sommes attachés est soudain devenu étrange et inquiétant ? Comme si nous avions été téléportés sur une autre planète, très éloignée, où les repères identifiables qui donnent sens à notre vie étaient totalement absents, à commencer par le sentiment d’avoir prise sur le réel. Cette expérience terrifiante, nous la vivons actuellement. Tout ce que nous croyions savoir sur notre demeure commune dans l’univers paraît aujourd’hui si absurde ! Les indicateurs familiers auxquels nous tenions, qui nous aidaient à nous situer, à nous orienter, semblent s’être subitement évaporés. Et sans eux nous nous sentons dépossédés, perdus sur notre propre planète. Donc nous sommes terrifiés – chacun à sa manière. Incapables d’imaginer vers quoi nous pourrions nous tourner, comment nous rassurer, pour quoi nous engager. Que s’est-il passé pour que nous nous sentions devenus étrangers sur notre petite boule ? La réponse est brutale, mais il faut l’entendre : depuis très longtemps, au moins six millénaires (ceux de "la civilisation", comme nous disons), nous avons très mal compris la nature de notre existence – à quoi, au juste, nous devons d’être en vie. Pour faire court, notre espèce, en particulier en Occident, s’est persuadée de longue date qu’elle habitait terra firma, une étendue verdoyante de terre ferme sur laquelle nous tenir debout et prospérer, et constituant à nos yeux notre "chez nous" dans le cosmos. Tout cela a volé en éclats le 7 décembre 1972. Ce jour-là, l’équipage du vaisseau spatial Apollo 17 en route pour la Lune a pris un instantané de la Terre vue à 29 400 kilomètres de distance. L’image, impressionnante et détaillée, a changé la façon dont l’humanité allait désormais percevoir sa demeure : un beau globe bleu illuminé par le Soleil. La vieille idée de la Terre verdoyante s’est trouvée aussitôt réduite à un vernis superficiel sur ce qui a toujours été une planète d’eau en orbite autour du Soleil, la seule à ce jour, semble-t-il, à déployer ses multiples nuances de bleu dans le système solaire et peut-être dans l’univers. Le 24 août 2021, l’Agence spatiale européenne a forgé le néologisme "planète Aqua". Aux États-Unis, la Nasa fait le même constat. Son site web précise : "Lorsqu’on regarde notre Terre de l’espace, on voit clairement que nous vivons sur une planète d’eau." […] Nos lointains ancêtres étaient animistes, le monde environnant leur paraissait vivant, dynamique, bruissant d’esprits en interaction permanente au sein d’une seule et même nature sans discontinuité, où l’action de notre espèce s’imbriquait étroitement. Le grand tournant a eu lieu lorsque nos ancêtres plus récents, changeant de cap, se sont mis à utiliser leur extraordinaire agilité mentale et leur dextérité physique hors du commun pour adapter toute la nature aux caprices utilitaires des êtres humains, en exploitant jusqu’à épuisement le monde naturel. […] Aujourd’hui, piégée par le réchauffement de la planète dont la cause principale est un nexus "eau-énergie-alimentation" qui carbure aux combustibles fossiles, la civilisation hydraulique urbaine s’effondre sous nos yeux. Du vide naît un nouveau départ pour la relation de l’humanité à l’hydrosphère. Nous commençons tout juste à réapprendre à adapter notre espèce aux impératifs d’une planète animée qui évolue toujours et s’auto-organise, et où l’hydrosphère joue le rôle de chef d’orchestre de la vie. Nous parlons ici d’une forme inédite de néo-animisme, dont le moteur est un rapprochement – complexe et bien pensé, fondé sur la science et mis en œuvre par des moyens technologiques – avec notre foyer liquide. […] Ces immenses changements dans notre façon de penser notre planète sur la scène cosmique constituent une relance du récit humain, qui nous fait passer dans un nouvel avenir d’affermissement de la vie. Nous vivons sur une planète d’eau, et chaque aspect de notre existence découle de cette vérité incontestable. Rebaptiser notre demeure dans l’univers "planète Aqua" et introduire ce nouveau nom dans les constitutions des États, les lois et décrets, les codes, les réglementations et les normes publiques est le premier pas de géant à effectuer pour nous réaligner sur les eaux qui animent notre existence même. Ce moment de clarification soudaine marquera le début d’un nouveau voyage, pour nous dépasser et refaire battre le pouls de la vie dans notre demeure d’eau. Ces choix et d’innombrables autres que nous ferons dans les quelques générations qui viennent détermineront si la vie sur la planète sera ou non réalimentée, et notre espèce régénérée. Nous n’avons désormais qu’un seul objectif possible : faire la paix avec une hydrosphère qui redevient sauvage et trouver de nouvelles manières de nous épanouir aux côtés des autres êtres vivants, nos compagnons. Tout le reste est diversion. Nous sommes les pillards de la vie, mais nous en serons peut-être aussi, au bout du compte, les sauveurs. Peut-être. Disons qu’un espoir prudent reste possible – sûrement pas des attentes naïves.
|