Dans les eaux profondesMots clés : Autour du bain, de l'intimité familiale à la sociabilité |
Akira MIZUBAYASHI
La première chose que je fais en entrant dans la salle de bains, c'est d'enlever les cinq planchettes rectangulaires qui couvrent la baignoire pour les entasser les unes sur les autres et pour les appuyer, ensuite contre le mur (histoire de ne pas être gêné). Je prends immédiatement le petit seau ; je le remplis d'eau chaude de la baignoire et j'en verse partout sur le corps. Pressé par le froid, je répète ce geste plusieurs fois. Les premiers jets ont pour fonction de me protéger contre le froid tout en me permettant d'effectuer un premier nettoyage très sommaire. Je m'empresse alors d'entrer dans la baignoire et de me tremper jusqu'au cou. La baignoire japonaise est assez profonde pour que l'eau puisse nous venir au ras du menton, tandis que nous y sommes assis normalement.
Il est au Japon un savoir-vivre raffiné, poétique, qui rend possible la rencontre de l'autre dans un cadre intime et bienveillant. L'espace de la salle de bains, espace souvent anodin, ou exigu en Europe, est au Japon un lieu privilégié où le thème de l'intimité familiale ou amicale se manifeste mieux qu'ailleurs. Mais le bain japonais comporte aussi une dimension collective et même publique. Il est un élément de civilisation, au même titre que la cérémonie de thé, les haïkus ou la voie des fleurs. Plongé dans ses souvenirs, Akira Mizubayashi s'interroge sur la spécificité de l'être-ensembre japonais. En abordant le rituel du bain, du thé ou l'art de la conversation, en nous parlant de Rousseau ou de Sôseki, Naruse ou Clint Eastwood, il dévoile ce que nous cachent les eaux profondes de la culture politique du Japon, qui pourrait menacer la démocratie.
L'auteur – Ancien "pensionnaire étranger" (PE Lettres 1979) à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, Akira Mizubayashi enseigne aujourd'hui à l'université Sophia de Tokyo, au Japon. Il publie en japonais et en français. |