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L'eau commune : un médicament en… 1725 !

Mots clés : l'eau commune froide : émétique, purgative, diurétique, sudorifique, délayante, stomatique et cordiale
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L'EAU COMMUNE
Un médicament en… 1725 !

L'affirmation est surprenante car le début du XVIIIe siècle est encore placé sous le signe de la "toilette sèche" et de la méfiance envers l'eau. C'est dire combien l'ouvrage de M. Smith, intitulé Traité des vertus médicinales de l'eau commune, et publié à Paris en 1725 pour sa traduction française, va à l'encontre des idées de son temps.

Pierre-Emmanuel MAIN
illustration Gallica, bibliothèque numérique de la BnF
h2o – janvier 2021

 

Où l'on fait voir qu'elle prévient & guérit une infinité de maladies, par les observations tirées des plus célèbres Médecins, & appuyées de quarante ans d'expérience : avec quelques remarques pour le régime de vivre.

On y a ajouté le Traité de l'Eau du Docteur Hancok, intitulé : Febrifugium Magnum, où l'Eau commune est le meilleur de tous les Remèdes pour guérir les Fièvres et la Peste.

 

L'auteur est anglais et pasteur. Il n'est pas médecin mais témoigne d'une vaste connaissance de la littérature médicale de son époque et, du fait de sa charge, s'affirme comme un observateur attentif des malades, des maladies et des remèdes.

Dans sa préface, M. Smith (son prénom n’est pas mentionné) souligne que personne n'a encore traité "d'une manière physique et raisonnée des vertus médicinales de ce liquide (…) que la plupart des hommes et des médecins (jugent) incapable de produire aucune cure ou de prévenir aucune maladie (…) et (serait) même contraire à la santé"

C'est cette croyance que l'auteur va s'efforcer d'infirmer, puisant des exemples tant parmi ses observations personnelles que dans les ouvrages de nombreux praticiens, dont Baynard et Floyer (et leur Traité des bains froids), Keill, Manwating, Pitcarn, Quincy, Prat, et bien entendu Boerhaave, la sommité internationale de l'époque.

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Herman Boerhaave (1668-1738)
Médecin, chimiste et botaniste hollandais

Professeur de médecin pratique, botanique et chimie à l’Université de Leyde, son savoir était considérable et son influence immense, dans toutes les facultés d’Europe. 


Remède universel ?

Le pasteur Smith attribue à l'eau commune froide toutes les propriétés des principaux remèdes d'alors : émétiques, purgatifs, diurétiques, sudorifiques, délayants, stomatiques et cordiaux. Cette conviction est à replacer dans le cadre médical de l'époque, essentiellement fondé sur la théorie des humeurs, où le rôle des excrétions est déterminant, en particulier celui de la "coction" (ou sudation) qui intervient pour séparer la "matière morainique" de celle qui est saine, et l'évacuer. [L’origine de ce terme de matière morainique est un peu confuse ; dans les dictionnaires du XVIIIe et XIXe siècles, le mot "morain" désigne la laine qu’on enlève de dessus la peau d’un animal mort de maladie. Le mot serait issu du vieux français "morine" qui évoque la mortalité. Il désigne également un alignement de débris le long d’un glacier (Littré) ; il apparaît donc que lorsque l’on parle de "matière morainique", il est fait allusion aux déchets ou toxines de diverses natures que le corps doit éliminer pour être sain, selon la médecine des humeurs.]

Notre pasteur émet quelques doutes sur la coction, tout comme sur l'usage excessif des saignées, et tombe d'accord, avec d'autres auteurs, pour regretter que "la Médecine ne soit pas une science à la hauteur de la Géométrie". Cette clairvoyance l'honore.

C'est pourquoi il accorde des vertus particulières à l'eau froide dont il a pu, par expérience, constater l'efficacité pour faciliter la digestion (elle dissous les aliments), arrêter les nausées et vomissements (mais également obtenir l'effet inverse en modifiant la dose), calmer les maux de tête, précisant qu'il avait lui-même guéri sa fille d'une forte fièvre en lui faisant boire un demi-setier (environ 3,5 litres) d'eau froide.


Un constat presque moderne

Des théories médicales fantaisistes n'empêchent pas quelques observations de bon sens. M. Smith et divers auteurs par lui cités notent que les personnes qui ne boivent que de l'eau sont plus vigoureuses et vivent plus longtemps que les autres et qu'il ne faut pas croire que plus on mange, plus on aura de force… L'excès de boissons fortes et de plats copieux n'est pas un gage de santé ; " (...) il y a plus de risque à manger trop qu'à manger trop peu et faire la diète de temps en temps ne fait pas de mal"

À ces considérations diététiques avant la lettre, s'ajoutent celles qui préfigurent le déclin de la toilette sèche et le retour des bains, pratique abandonnée et réservée aux malades des villes thermales. Par exemple, le Dr Floyer affirme que laver les enfants à l'eau froide les fortifie, et notre pasteur parle souvent de "laver telle ou telle partie du corps à l'eau froide", tant pour se soigner que pour se fortifier. Mais, dans son Traité, l'usage interne prédomine sur l'usage externe et il préconise, pour se bien porter, de boire deux à trois grands verres d'eau froide au lever, et une même dose deux heures après chaque repas. 


Où trouver la "bonne" eau ?

Constatation logique à une époque où l’on ignorait la pollution atmosphérique, l'eau la plus pure et la moins chargée en "particules hétérogènes" est sans aucun doute l'eau de pluie. C'est d'ailleurs celle qu'emploient les chimistes et les boulangers. Tout ce qu'on fait cuire ou bouillir à l'eau de pluie a meilleur goût. On évitera toutefois l'eau qui tombe des gouttières et, pour conserver l'eau des précipitations, on utilisera de grands vases de terre bien fermés.

Vient ensuite l'eau des rivières, ce qui peut nous surprendre. L'auteur précise qu'il convient de préférer celles dont le cours est rapide ; ainsi, l'eau du Rhône est meilleure que celle de la Seine, cette dernière devant être puisée en amont de Paris. Rappelons en effet qu'au cours du XVIIIe siècle, l'eau du fleuve, à Paris, avait une réputation redoutable auprès des étrangers de passage, et même des provinciaux. Tous s'étonnaient que les Parisiens puissent boire de cette eau sans en être incommodés, étant donné "la quantité prodigieuse d'immondices qu'on y jette (...)". Notre auteur trouve du reste surprenant que le principal pollueur, l'Hôtel-Dieu, y soit situé en plein centre, sur sa rive !

C'est l'eau des fontaines qui arrive en troisième position. Selon notre pasteur, il est rare de trouver des eaux de source qui soient aussi pures que l'eau de pluie, car elles sont souvent chargées de "particules minérales", et les meilleures se rencontrent soit dans les terrains argileux ou sablonneux, soit sur les pentes des montagnes. 


Et l'eau thermale ?

Pour Smith, une eau de qualité doit être légère, pure, claire, transparente et insipide. L'altération de l'une ou l'autre de ces propriétés doit être prise en considération. Si tel est le cas, peut-on, par sécurité, la faire bouillir ? Oui, mais à condition de bien couvrir le récipient pour en empêcher l'évaporation, c'est à dire la perte de "sa partie la plus légère". Enfin, et il cite le Dr Quincy, on peut obtenir une eau excellente en la distillant dans un alambic, et en la consommant refroidie ; mais, dans ce cas, on ne peut la conserver.

L'auteur consacre peu de place aux eaux minérales (thermales). Ce n'est pas son sujet, mais il en reconnaît "les vertus admirables". Elles sont largement "prescrites" pour les maladies chroniques et la plupart des médecins cités s'interroge en effet sur l'origine des "miracles que les eaux minérales opèrent sur ces maladies (…)" ? De leur contenu, suppose-t-on, bien que leurs compositions soient encore inconnues et sujettes à d'étranges élucubrations. Mais, rappelle Smith, l'eau minérale est un remède, et en tant que tel, on ne peut en faire son ordinaire. C’est bien la reconnaissance du caractère médical du thermalisme, ce qui explique l’absence de méfiance dont bénéficient ces eaux de renommée lointaine et d’efficacité affirmée. 


Qu’en pense l'École de Médecine de Paris ?

La dernière partie du livre n'est pas de M. Smith ; ajoutée à sa demande ou plus probablement par le libraire-éditeur parisien, elle reproduit la réponse au problème posé à l'École de Médecine de Paris, en 1721 : l'eau est-elle un excellent préservatif en temps de peste ? La question, très probablement motivée par l'épidémie de 1720 à Marseille et dans ses environs, fait un peu frémir, rétrospectivement, car l'opinion "savante" du temps supposait que la maladie était causée par "un venin subtil répandu dans l'air". Venin dont il fallut attendre 1894 pour découvrir sa vraie nature de "bacille". Alors, dans cet esprit, quelle protection attendre de l'eau commune ?

La réponse de l'École de Médecine de Paris est prudente mais modérément imprégnée des théories fantaisistes de cette époque : de toutes les boissons, l'eau pure et claire est la meilleure, et si le vin est autorisé, c'est largement coupé d'eau. L'eau pure facilite la dissolution des aliments, la circulation des humeurs (référence obligée à Boerhaave) et, puisque "dans 12 onces de sang humain, il y en a 8 d'eau claire (…)" (l'once valait environ 30,5 grammes), l'eau rend donc le sang plus fluide. 

Il faut utiliser une eau transparente (la moins chargée en particules), subtile, légère, et sans goût ni odeur ; toutes ces conditions étant indispensables. Par ailleurs, l'eau étant bonne pour "la sérénité", "on peut la regarder comme un remède universel (…)".

Ainsi, l'eau de qualité, sans être une protection absolue contre la peste, n'est cependant pas l'élément suspect de transporter des miasmes et d'amollir les chairs, au contraire ; "elle verse, pour ainsi dire, la santé dans le corps (…)", affirme la Faculté en 1721. Une conclusion qui annonce, de très loin, la fantastique évolution qui va s'opérer dans la pratique de l'hygiène et des bains, puis dans la connaissance du corps, des maladies et de leurs traitements. .