Eau et délitsMots clés : pollution industrielle, impunité, corruption, crime, délit, droit à l'eau, droit de l'eau |
Dossier de Martine LE BEC   |
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April 2012 | ||||||||||||||||
Se doter d’outils juridiques pour défendre le droit à l’eau et pénaliser son usage irrationnel
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Des militants de Greenpeace ont investi, le 22 mars 2012, à bord d'un
kayak la cascade de Salto de Juanacatlán. Photos Ulises Ruiz Basurto /
EFE – Greenpeace Film Un Salto de Vida – Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir Río Santiago Blog Por un Salto dig |
Boire, respirer, manger du pétrole : la réalité des populations du delta du Niger
Dans le delta du Niger, on ne compte plus les fuites de pétrole : depuis cinquante ans, d’après les experts, 9 à 13 millions de barils ont été déversés dans cette région couverte par la mangrove. La pollution est la plus grave jamais survenue, l’équivalent de deux plateformes pétrolières Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique ou d’un Exxon Valdez tous les ans ; cette pollution est aussi restée plus discrète. 31 millions d’habitants vivent dans ce delta, grand comme le Portugal, quadrillé d’oléoducs et jonché de puits. Interrogée sur les fuites, la Shell Petroleum Development Company (SPDC) dénonce les vols, les sabotages et les activités terroristes. Pauvreté, violence et corruption font de la région une zone complexe et instable. 600 milliards de dollars et quelques ont été "déversés" sur le Nigeria depuis les premiers forages, sans jamais profiter aux populations. L’État nigérian est actionnaire de la SPDG à hauteur de 55 %, aux côtés de Shell, l’opérateur (qui détient 30 % du capital), de Total (10 %) et Eni (5 %). En 2010, la compagnie rappelle avoir versé 1,7 million de dollars de compensation à la suite de fuites ; depuis 2006, elle a aussi recensé en moyenne 169 déversements de brut par an dans le pays.
Une étude a été entreprise dans la partie la plus ravagée, l’Onigoland, par le Programme des Nations unies pour l’environnement – d’ailleurs financée par Shell, et qui a confirmé les allégations faites depuis des années par Amnesty International. Des zones qui apparaissaient comme non affectées en surface sont en fait gravement contaminées sous terre ; la santé publique est sérieusement menacée dans au moins dix communautés ogoni dans lesquelles l'eau potable a été contaminée. Le rapport précise que "dans l'une de ces communautés, à Nisisioken Ogale, dans l'ouest du pays Ogoni, des familles boivent de l'eau provenant de puits contaminés par du benzène, un cancérigène reconnu, à un niveau 900 fois supérieur à ce que préconise l'Organisation mondiale de la santé". L'équipe scientifique a trouvé une couche de huit centimètres de pétrole raffiné flottant dans la nappe phréatique alimentant ces puits, le résultat d'une fuite de pétrole survenue il y a plus de six ans. Concernant la végétation, l'augmentation du raffinage artisanal entre 2007 et 2011 s'est accompagnée d'une baisse de 10 % de la couverture de mangrove saine, soit un total de 307 380 mètres carrés ; sans restauration de l'environnement, le raffinage artisanal pourrait conduire à une perte irréversible dans la mangrove dans cette zone.
Le traitement pollution représenterait l'opération de nettoyage la plus vaste jamais réalisée. Cette opération pourrait prendre vingt-cinq à trente ans. Aussi, le PNUE a préconisé la création d'un fonds spécial pour l'Ogoniland et suggéré que les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian y injectent déjà pour commencer 1 milliard de dollars (700 millions d'euros).
L’impunité des compagnies trouve son pendant dans l’indigence d’un État complice, sous le regard indifférent des États du nord qui abritent les sièges de ces entreprises. Pour la plus grande tranquillité de tous, les filiales sont juridiquement distinctes de leurs sociétés-mères.
Les batailles de l’eau sont multiples, complexes et difficiles. Les dommages sont le plus souvent à retardement, et parfois invisibles. Les plaignants sont confrontés à des juges qui, s’ils existent, sont soit incompétents soit corrompus. Les acteurs industriels sont évidemment conscients de leur impunité et en jouent. La solution est donc de conjuguer toutes les actions possibles : judiciaires, politiques, sociales et économiques, voire de l’étranger, car les victimes directes de ces pollutions sont la plupart du temps elles-mêmes sans grand poids économique.
Le 16 juin 2011, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a adopté pour la première fois une nouvelle série de principes en matière de droits de l'homme à respecter dans le monde des affaires. Cet ensemble de règles visent à contraindre les entreprises à améliorer le respect des droits de l'homme dans leurs pratiques et leur gestion. Ce n’est qu’une recommandation, mais qui ouvre une nouvelle voie pour la société civile et les ONG.
L’objectif est évidemment que ces principes puissent à terme être légalement défendus.
Le Nigeria compte 160 millions d’habitants. En 2050, il devrait être le
3ème pays le plus peuplé au monde après la Chine et l’Inde. 30 millions
de jeunes Nigérians sont sans emploi, alors que deux tiers de la
population vit avec moins de 3 dollars par jour. 2,4 millions de barils
de pétrole sont produits chaque jour dans le pays, placé au 1er rang des
producteurs d’Afrique. images – Amnesty International UK |
Bussi sul Tirino : la plus grande décharge toxique d’Europe
La commune de Bussi sul Tirino, dans la province de Pescara dans la région des Abruzzes en Italie abrite aujourd’hui la plus vaste décharge toxique d’Europe. Le passé industriel de la vallée remonte au début du XXe siècle, lorsque s’y installa la Compagnie Franco-Suisse d’Électricité. Reprise par la Société Italienne d’Électricité, l'usine a enregistré une croissance rapide avec le lancement de la production de chlorate et d’hypochlorite de sodium, de chlorure de soufre, d’acide chlorhydrique et de lingots d'aluminium (cette dernière production utilisant la bauxite locale). Pendant la guerre, la production s’est orientée vers les explosifs (le chlorate de potassium) et les gaz toxiques (le phosgène). Après-guerre, le site s’est encore développé dans la chimie industrielle, notamment en intégrant, à partir des années 1960-70, la production d’additifs pour carburants.
Lorsque les sites d’enfouissement ont été découverts, la première réaction des autorités et des acteurs industriels a été de nier la possible contamination des eaux souterraines. Et c’est aujourd’hui sous la pression d’ONG – WWF Italie notamment que les choses sont progressivement en train d’évoluer. Un groupe d’étude de la faculté d’architecture de Pescara-Abruzzo a aussi effectué des prélèvements sur les divers aquifères, qui dénoncent les contaminations. Les acteurs se retranchent dorénavant derrière l’ancienneté des méfaits. Et l’affaire ne semble pas non plus émouvoir grandement les médias.
Le groupe d’étudiants soutient aujourd’hui un projet de réhabilitation territoriale de la vallée qui, en dépit de tous ces méfaits, reste d’une grande beauté naturelle. Ce projet s’oppose à celui défendu par les autorités locales, qui concerne la construction d’une cimenterie. La loi italienne est du côté des adversaires à ces projets de ré-industrialisation. Cependant, c’est seulement en se renforçant et en s’alliant au monde scientifique que la société civile pourra imposer un autre futur à ce territoire.
Le cas de Bussi sul Tirino n’est pas isolé : 57 autres sites du genre sont répertoriés en Italie. Mais l’attention de la société civile doit se porter au-delà, sur tous les sites susceptibles de rejoindre cette liste. La faculté d’architecture de Pescara-Abruzzo va publier un mémorandum sur ce territoire qui, elle l’espère, pourra servir d’autres projets de réhabilitation. La note sera titrée "Il n’est plus temps"… sous-entendu plus temps de tergiverser.
images – L'Espresso |
Les lois sont-elles en panne ?
Triste anniversaire : deux ans après le terrible désastre dû à l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP dans le golfe du Mexique, survenue le 20 avril 2010, un nouvel accident – cette fois en mer du Nord avec Total, vient de survenir. Depuis dimanche 25 mars, les équipes de Total sont en train de se battre pour contenir vainement une grave fuite de gaz sur sa plateforme d'Elgin-Franklin, située à 240 kilomètres du littoral écossais. Une fois de plus le dispositif le BOP – blow out preventer –, qui permet en cas de perte de contrôle de confiner le gaz ou le pétrole à l’intérieur du gisement et d’éviter la fuite, n’a pas fonctionné.
Voilà pour l’évènement. Mais deux ans après la marée noire du golfe du Mexique, nous n’en sommes non plus pas plus avancés sur le plan de la pénalisation de tels accidents. Il y a tout juste un mois, le 2 mars, le groupe pétrolier britannique BP a obtenu un accord à l'amiable réglant une partie du contentieux. L'accord va permettre d'indemniser des entreprises privées de la région souillée par la marée noire qui a suivi la catastrophe, à hauteur de 7,8 milliards de dollars. Cela ne couvre évidemment pas le gros "morceau" du contentieux, les procédures ouvertes par les pouvoirs publics américains : le ministère américain de la Justice, des agences fédérales, les États et collectivités affectés. Cet accord à l'amiable de dernière minute se traduit cependant de facto par un nouveau report du procès attendu, visant à déterminer les responsabilités de BP dans la marée noire.
La multiplicité des plaignants et leur puissance feront, peut-on l’espérer, avancer l’état de droit. Mais rien n’est gagné… À l’autre bout de la Fédération, la Californie – pourtant réputée comme un État progressiste et défenseur de l’écologie – est loin de présenter un début de solution à sa crise de l’eau. "L’eau potable est fournie aux entreprises, celle polluée est laissée aux femmes et aux enfants des quartiers défavorisés", énonce Linda Sheehan, avocate au Earth Law Center qui estime que si les lois environnementales ont initialement été créées pour défendre les intérêts des populations et de leurs environnements, ces lois sont aujourd’hui en panne. La raison est que ces lois environnementales, sensées défendre les ressources en eau ou les forêts, sont régulièrement refoulées devant les intérêts économiques et financiers des acteurs de l’industrie. "Ces lois finissent par légitimer la surexploitation et la pollution." En 1849, en Californie, l’enjeu était de mettre l’eau à disposition des chercheurs d’or ; un siècle et demi plus tard, elle est mise à disposition des exploitants gaziers de l’État de New-York, de Pennsylvanie, du Michigan, de l’Arkansas ou du Wyoming.
Néanmoins à Pittsburg, dans l’État de Pennsylvanie, une loi vient d’être adoptée qui criminalise l’utilisation de l’eau pour l’extraction de pétrole et de gaz. Ce n’est pas le droit à l’eau dont il s’agit ici mais bien du "droit de l’eau" – l’eau devient le sujet, défendu en tant que tel, avec un droit à la vie, à la propreté et même à la liberté. En Équateur, la Constitution a été modifiée en 2008 pour rappeler ce droit de l’eau et des écosystèmes ; cette reconnaissance a préfiguré la Déclaration universelle pour les droits de la Terre Mère, adoptée à Cochabamba, Bolivie, le 22 avril 2010, par la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique.
Occupy Wall Street et le mouvement des Indignés témoignent de la montée de la revendication pour une société différente, d’autres valeurs et d’autres droits, la maximisation non plus du profit mais du bien-être environnemental et humain. Des modèles sont à créer, davantage holistiques.
Vers un tribunal pénal international de l’environnement ?
Le malheur vient de l’impunité des dommages créés à l’environnement. La première priorité serait d’établir que les crimes contre l’eau, et plus généralement les crimes contre l’environnement, sont des crimes contre l’humanité. La seconde priorité serait de créer un tribunal pénal international de l’environnement. Ce second point fait débat, les discussions traînent sur des questions de sémantique alors que les populations affectées sont dans l’attente d’outils juridiques pour défendre leur droit à un environnement sain.
Un droit international de l’environnement existe, qui repose sur plus de 500 traités ou accords multilatéraux, dont 300 environ ont un caractère régional ; mais il lui manque son pendant : une cour ou un tribunal apte à qualifier et juger les manquements et atteintes à ces accords. La création de ce tribunal pénal international de l’environnement est donc un impératif. Sa fonction sera de traiter les atteintes à l’environnement dès lors que les plaintes n’auront pu être traitées ou réglées par les tribunaux nationaux ou si les conséquences ont des portées supra-territoriales.
Il restera encore à prévoir les moyens financiers nécessaires à la restauration des milieux ; concrètement un Fonds pour dommages à l’environnement, à l’image de celui créé en 1995 par le Canada, et qui serait alimenté par les montants adjugés par le tribunal pénal international de l’environnement, les règlements à l’amiable et les paiements volontaires, ainsi que les sommes provenant de divers fonds internationaux et ou assurances professionnelles.
Le chemin sera long et difficile – un véritable Camino de Santiago –, aussi Gustavo Gomez, procureur général à la Cour fédérale de Tucuman en Argentine, propose un plan d’action "post-FAME" : il s’agira de créer un groupe de travail permanent d’avocats qui permette à tout à chacun, à travers Internet ou d’autres moyens, de consulter et s’informer sur ses droits et les procédures possibles ; le site devra par ailleurs recenser et évaluer toutes les situations litigieuses, et reporter les actions engagées par la société civile. L’objectif est de gagner en efficacité. Il faut œuvrer pour le rapprochement progressif des corpus juridiques nationaux, afin de lutter contre la délocalisation d’activités et la création d’usines polluantes dans des pays minés par la corruption et où les contrôles sont moins draconiens qu’en Amérique du Nord ou en Europe. Le renforcement du droit international de l’environnement ne peut non plus se limiter aux seuls instruments onusiens, par nature uniquement opposables aux États.
Dans l’immédiat, il faut aussi dénoncer la criminalisation automatique et la persécution des militants environnementaux qui se battent pour leurs droits. "En Argentine, 500 personnes ont été emprisonnées pour ces combats contre la pollution ou la dégradation du milieu de vie et malgré cela les gens continuent à se battre ; encore récemment 7 000 personnes, des artistes et des poètes, ont effectué une marche de 400 kilomètres en chantant. Mais il faut aussi savoir que les "disparus" argentins d’aujourd’hui sont d’abord des militants environnementaux. Les multinationales payent souvent les élus ou diverses bandes pour faire disparaître les protestataires. Beaucoup partent en exil" a expliqué Gustavo Gomez.
Un agenda post-FAME
Si l’enjeu à terme est bien la reconnaissance d’un droit de l’eau et l’instauration d’un corpus juridique défendable devant un tribunal pénal international de l’environnement, la mobilisation engagée à Marseille à travers la rencontre Eau, planète & peuples puis le Forum alternatif mondial ne doit pas fléchir. Les organisations participantes doivent dès à présent jeter les bases d’une coordination structurée leur permettant de nourrir leur action, de se renforcer et se professionnaliser en engageant un travail de fond sur des dossiers symboliques, les plus aptes à faire émerger un véritable droit international de l’eau. .
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Ateliers Droit à l'eau Le FAME organisait 4 autres ateliers sur le droit à l'eau : Témoignages des luttes locales contre la spoliation de la ressource et pour la reconnaissance du droit à l’eau comme un droit humain fondamental L’eau, patrimoine de la terre et bien commun : défense des écosystèmes et du cycle intégral de l’eau "Ca s’écrit eau, ça se lit démocratie" : mobilisations citoyennes et mouvements sociaux pour le droit à l’eau La dynamique politique du droit à l’eau FAME 2012 |