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Perturbateurs endocriniens : Quand science, politique et business font mauvais ménage

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
14/10/2013

17 scientifiques en dérapage incontrôlé,  rattrapés par leurs conflits d'intérêts

Le Réseau Environnement Santé s'étonne de la tournure que prennent les discussions sur la future réglementation des perturbateurs endocriniens. Alors que se confirme le non-respect de l'échéance d'élaboration des critères d'identification des perturbateurs endocriniens, fixée par les règlements biocides et pesticides de 2009 à fin décembre 2013, il semble que tous les coups soient permis pour tenter de déstabiliser les fondements mêmes de l'action européenne contre ces substances chimiques dangereuses pourtant qualifiées de "menace mondiale" par les plus hautes instances internationales.

Du côté politique, malgré le volontarisme de quelques États-membres comme le Danemark, la Suède, la Belgique et la France dont la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE) même imparfaite reste une initiative unique en Europe, malgré la résolution du Parlement européen qui "invit[ait] la Commission (...), dans les meilleurs délais, (…) à introduire dans la législation de l'UE une définition claire des substances ayant des propriétés de perturbateur endocrinien", la Commission européenne s'apprête à décevoir les attentes en reportant et en conditionnant toute décision à une "étude d'impact" aux contours encore flous, sinon qu'il s'agit de ne pas nuire aux intérêts industriels. "La Commission européenne ou, du moins, la DG SANCO, censée œuvrer pour la santé et le bien des consommateurs, s’assoit sur l'application des lois pesticides et biocides et choisit d'appliquer le principe de précaution au business car sait-on jamais quels intérêts privés pourraient être mis à mal par les folles exigences de protection de la santé publique" ironise Yannick Vicaire, chargé des questions européennes au Réseau Environnement Santé.

Du côté scientifique, les enjeux semblaient plus clairs. Un rapport sur l'état des connaissances scientifiques avait été confié par la Commission européenne au Pr Andreas Kortenkamp, lui-même spécialiste de la perturbation endocrinienne et de l'effet cocktail ; les conclusions étaient assorties de recommandations. Un groupe de travail avait été monté sous les auspices du Joint Research Center de l'UE – outre des scientifiques, les agences et les parties prenantes (ONG, industries) y étaient associées et un rapport sanctionnait ce travail en identifiant les points de consensus et de dissensus entre experts . En parallèle, l'OMS et le PNUE publiaient un rapport scientifique très attendu qui qualifiait les PE de "menace mondiale". C'est ce dernier travail qui a subi les premières attaques virulentes de lobbys industriels contre les auteurs, d'éminents experts de la perturbation endocrinienne. "Que l'industrie se déchaîne contre un rapport qui dessert ses intérêts, même si on peut le regretter, ça fait partie du jeu de rôle traditionnel mais l'initiative des 18 rédacteurs de revue scientifique est beaucoup plus inquiétante. Ces scientifiques se seraient-ils engagés sur le terrain glissant de l'instrumentalisation de la science à des fins politiques ?" s'inquiète André Cicolella, président du RES, au sujet de l'éditorial publié cet été par Daniel Dietrich et 17 autres rédacteurs et chercheurs scientifiques dans pas moins de 14 revues, assorti d'une lettre de 81 signataires à Anne Glover, conseillère scientifique en chef de la Commission.

Cette initiative de Dietrich et al. et son argumentation au nom de la défense d'un supposé "bon sens" et de la "science bien établie" pourraient prêter à sourire, tant elles répètent l'éternelle querelle des anciens et des modernes mais elles quittent les frontières du débat scientifique pour s'aventurer dans le terrain politique, elles s'apparentent, par les moyens déployés, à une charge de cavalerie contre la menace que ferait courir à l'humanité le principe de précaution et elle sont surtout entachées par la suspicion sur les motivations réelles de leur genèse. Dans un éditorial publié le 27 août par Environmental Health Journal, le rédacteur en chef et chercheur Philippe Grandjean posait la question des "conflits d'intérêts" non-déclarés dans l'article de Dietrich et de ses co-rédacteurs ; la journaliste d'investigation Stéphane Horel y répond dans un article paru le 23 septembre dans Environmental Health News. Selon son enquête, 17 des 18 scientifiques "ont collaboré avec l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmétique, et celles du tabac, des pesticides ou des biotechnologies. Certains ont bénéficié de financements d’associations industrielles. D’autres ont travaillé comme consultants ou conseillers."

Le RES est très inquiet que l'on décrédibilise la science en lui faisant jouer, dans cette affaire ou dans d'autres, des rôles toxiques. "Certains s'abritent derrière l'acquisition de preuves scientifiques pour s'adonner à la procrastination politique ; d'autres cachent derrière le terme de 'bonne science' celle qui sert uniquement les intérêts de l'industrie et les dogmes de la fuite en avant technologique et de la croissance économique" s'insurge Yannick Vicaire, "pour les intérêts de la protection de l'environnement et de la santé publique, la science ne serait donc jamais suffisamment bonne ou suffisamment concluante." Pour le RES, la dialectique du principe de précaution, c'est justement de réaffirmer la primauté du choix politique de protection du public lorsque la science ne peut conclure de manière catégorique mais qu'elle apporte des éléments de preuves raisonnables que l'inaction pourrait s'avérer plus dommageable. C'est bien dans cette situation que nous ont placés la mise en évidence et les preuves depuis accumulées de la perturbation endocrinienne et nous réitérons notre appel à agir, au gouvernement français comme à la Commission européenne.

Perturbateurs endocriniens, conflits d’intérêts à haute dose – Enquête de Stéphane Horel
Réseau Environnement Santé
– 02-10-2013