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Canada – Québec |
Dossier de la rédaction de H2o   |
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07/09/2019 | |
Même s’il a décidé de mettre en place un nouveau règlement sur les pesticides dans le but de réduire leur utilisation, le gouvernement du Québec a vérifié à peine une fraction infime des documents que les agronomes doivent désormais produire pour justifier le recours à ces produits toxiques, a appris Le Devoir. Et dans une majorité de cas, les justifications étaient tout simplement incomplètes. À la suite d’une demande formulée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, Le Devoir a obtenu copie d’un document du gouvernement présenté lors de la première rencontre du "Comité consultatif sur la justification et la prescription agronomiques", mis en place dans un contexte de suivi de la "mise en œuvre" du règlement sur l’utilisation des pesticides en milieu agricole. Ce comité, coordonné par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), compte notamment des représentants d’au moins cinq entreprises liées à la vente de pesticides au Québec, dont la multinationale Bayer. Le document produit par le MELCC présente donc des données sur les suivis du ministère pour "assurer le respect de la réglementation sur les pesticides". Selon cette réglementation, l’achat de pesticides ne peut être autorisé qu’en présentant au vendeur une "prescription" rédigée par un agronome. Qui plus est, les agronomes sont tenus de produire une "justification" qui précise notamment "les raisons" qui soutiennent l’utilisation d’un pesticide, mais aussi le nom du produit et les quantités nécessaires. Ce document doit être conservé par l’agriculteur. Les informations présentées en mai au comité consultatif contiennent uniquement des données portant sur l’atrazine, puisque ce pesticide a été le premier à être soumis à la nouvelle réglementation exigeant une "justification agronomique", depuis le 8 mars 2018. Les néonicotinoïdes et le chlorpyrifos ont suivi respectivement en septembre 2018 et avril 2019. Le bilan portant sur l’atrazine démontre que 1 500 prescriptions ont été déclarées au MELCC, ce qui signifie que les agronomes ont dû produire 1 500 justifications pour appuyer leurs décisions. Or, ces justifications "n’ont pas à être déclarées au MELCC", a indiqué le ministère, en réponse aux questions du Devoir. "Les justifications sont plutôt vérifiées lors des inspections par le MELCC des agriculteurs lors de visite à la ferme." Ainsi, au cours de l’année 2018-2019, les inspecteurs du MELCC ont vérifié à peine 27 justifications sur les 1 500 qui ont théoriquement été produites par les agronomes. Cela représente un taux de vérification de 1,8 %. Dans le document présenté au comité consultatif, le ministère reconnaît lui-même qu’"il s’agit d’un faible échantillon". Est-ce que cet échantillon de 27 justifications, sur les 1 500 qui ont dû être produites, est considéré comme normal ? Est-ce que le nombre devrait augmenter au fil des ans ? Le MELCC n’a pas répondu à ces deux questions du Devoir, malgré des demandes répétées au cours de la dernière semaine. Spécialiste des pesticides à la Fondation David Suzuki et membre du comité consultatif du MELCC, Louise Hénault-Éthier estime "complètement aberrant" le fait d’avoir vérifié à peine 27 justifications sur les 1 500 qui ont théoriquement été produites pour accompagner les 1 500 prescriptions d’atrazine. Chargée de projet chez Équiterre et elle aussi membre du comité consultatif, Nadine Bachand estime pour sa part qu'il faudrait un échantillon plus représentatif. Pour faciliter le travail de suivi de la part du ministère, la Fondation David Suzuki et Équiterre avaient proposé au gouvernement de mettre en place, dans le cadre du nouveau règlement sur les pesticides, un registre informatisé et centralisé de suivi des pesticides, mais aussi de rendre les informations accessibles publiquement. Une telle pratique existe déjà en Californie, rappelle Mme Bachand en soulignant que les données peuvent être utilisées par des chercheurs qui étudient les impacts des pesticides sur l’environnement et la santé humaine. Alexandre Shields – Le Devoir |