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Dessin de tracé de fleuve

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Canada/États-Unis
Les États-Unis voudront-ils bientôt détourner l’eau du Canada ?

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
13/01/2025

Comme les idées, les civilisations et même les étoiles, les fleuves aussi sont mortels. Le Colorado, long de 2 330 kilomètres, n’agonise pas encore, mais il montre de sérieux signes de faiblesse. Les digues, les barrages et les réservoirs — qui amplifient l’évaporation de 15 % —, sans compter le pompage incessant de ses eaux pour irriguer l’agriculture, assaillent l’immense cours d’eau coloré (la signification de son nom en espagnol). Son débit a chuté de 20 % en un siècle. Les engrais le polluent. Son delta au Mexique est pratiquement à sec. Bref, tout va mal, et une immense catastrophe écologico-économique semble en gestation. Alors, que faire ? En Chine, un chantier en cours va permettre d’ici 2050 de détourner 45 milliards de mètres cubes d’eau du sud vers le nord, soit du fleuve Bleu au fleuve Jaune. En Inde, un plan vise le détournement du Brahmapoutre, qui prend sa source dans l’Himalaya tibétain. Faudra-t-il en venir à une telle ingénierie continentale pour sauver le Colorado ? Dans un texte publié l’automne dernier dans le New York Times, le professeur Jay Famiglietti, directeur scientifique de l’Arizona Water Innovation Initiative, explorait dans une perspective critique une telle option radicale : pomper l’eau du lac Michigan pour la déverser par pipeline à des milliers de kilomètres plus à l’ouest. Extrêmement coûteux, le projet semble techniquement réalisable, même s’il exige de pomper l’or bleu sur des milliers de kilomètres en pente ascendante et en traversant les Rocheuses. Le principal obstacle reste juridique et politique. Les traités et lois de deux pays (le Canada et les États-Unis), huit États, deux provinces (l’Ontario et le Québec), plusieurs nations autochtones et des métropoles puissantes protègent les Grands Lacs, qui desservent plus de 80 millions de personnes. "Je pense que M. Famiglietti a évoqué une solution hypothétique radicale pour montrer à quel point la situation de l’eau est désastreuse dans le sud-ouest des États-Unis", souligne John Pomeroy, professeur à l’Université de la Saskatchewan et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’eau et les changements climatiques. Son confrère américain n’a pas répondu aux demandes d’entrevue du Devoir.

Hydrologue, géographe et ingénieur de formation, John dirige le Global Water Futures Program, le plus grand réseau mondial de recherche sur les eaux douces, qui regroupe 23 universités, plus de 200 professeurs et quelque 2 000 chercheurs au Canada. "Les bases légales de protection des eaux de la région sont solides", affirme le professeur. "Le traité de libre-échange stipule aussi que le Canada n’a pas à partager ses eaux avec les États-Unis." Reste que le président redésigné pourrait changer la donne. Donald Trump a décrit le Canada comme le 51ème État de l’Union, et il compte bien demander des concessions lors du renouvellement obligatoire de l’accord de libre-échange en 2026. "Je pense que les pressions vont s’accentuer sur nos ressources naturelles, y compris l’eau", dit M. Pomeroy. "Il faut être prêt à se défendre, d’autant plus dans le contexte des changements climatiques. Le sud des États-Unis devient de plus en plus chaud et sec, tandis que des parties du Canada se réchauffent et deviennent plus humides. Il est évident que, dans les prochaines décennies, si les Américains persistent à agir comme ils les font, ils auront besoin de plus d’eau."

Stéphane Baillargeon – Le Devoir