Ce lundi 5 septembre 2022, le ministre en charge de l'Eau et de l'Énergie a demandé à Camwater de prendre sous huitaine toutes les mesures qui s'imposent en vue de garantir le niveau de production de la station d'Akomnyada. Il faut rappeler que cette station est un vrai scandale technique et un gouffre financier pour l'État du Cameroun. Elle avait été construite en 1985 pour une capacité de 100 000 mètres cubes et a déjà été rénovée par deux fois pour atteindre les 300 000 m3/j d'eau nécessaires à l'approvisionnement des villes de Yaoundé et Mbalmayo. Mais, force est de constater qu'après avoir englouti des dizaines de milliards, sa capacité de production réelle n'excède pas les 130 000 mètres cubes, ce qui est largement insuffisant pour couvrir la demande de la capitale. Le problème est qu'à l'heure de la reddition des comptes, le ministre semble faire porter le chapeau à Camwater, ce qui est une posture de mauvaise foi. Snobant le savoir-faire local, le gouvernement camerounais avait fait le choix en 2009 d'importer l'expertise pour rénover la station d'Akomnyada supposée être livrée en 2013. Il s'agissait des sociétés General Electric et Environmental and Chemical Corporation qui n'ont pas rendu satisfaction et l’ingénierie locale semble aujourd'hui bouder ce travail mal conçu et mal réalisé dès le départ. Ce n'est pas en huit jours que l'on changera les équipements de pompage vétustes. Ce n'est non plus pas en huit jours que l'on trouvera les ressources nécessaires. Ce n'est pas surtout en huit jours que l'on mettra fin aux délestages d'Eneo dont une seule heure de coupure électrique est de nature à créer jusqu'à 9 000 m3 de déficit journalier.
Autopsie des problèmes de pénurie d'eau potable au Cameroun. Comme élément de contexte, il faut dire que le taux de couverture nationale en eau potable est passé de 33 % en 2010 à 45 % seulement en 2021 selon le même ministère qui présentait la situation à l'Assemblée nationale le 28 juin 2021. À titre de comparaison, en 2010, le Sénégal et la Côte d'Ivoire étaient respectivement à 78 % et 62 % de taux de couverture. Le gouvernement est aujourd’hui encore très loin de l'objectif de 75 % de couverture qu'il visait en 2015 dans le cadre de son engagement pour l'atteinte de l'OMD 7. Le gouvernement camerounais a pendant longtemps abandonné la question d'adduction d'eau aux ONG et donateurs étrangers se contentant simplement de faire l'accompagnement. Pour résoudre durablement le problème d'eau potable au Cameroun, il faudrait affronter les questions liées à l'environnement institutionnel et à la mobilisation des ressources nécessaires :
- Une hypercentralisation de la production et de la distribution à bannir. Il n'y a aucune approche de solution possible au problème d'eau dans la centralisation. Le Cameroun dispose de près de 103 stations urbaines d'eau potable et de plus de 3 000 stations et points d'eau ruraux mais, la gestion reste centralisée. Après la défunte SNEC, le gouvernement avait opté en 2005 pour une solution administrative en opérant la séparation de la construction des infrastructures (Cameroon Water Utilities Corporation, Camwater) de la production et de la commercialisation de l'eau potable (Camerounaise des Eaux, CDE) sans apporter pour autant une solution à la question de financement et d'assainissement. Par conséquent, 11 ministères différents interviennent sans coordination dans les questions d'assainissement de l'eau, ce qui ne peut que créer la lourdeur administrative, le laxisme et la mauvaise gouvernance.
- Un aménagement territorial défaillant. En l'état, il est difficile de faire un schéma directeur de l'hydraulique en absence d'un plan directeur national, et de procéder aujourd'hui à une adéquation entre la demande et l'offre. Le troisième recensement général de la population et de l'habitat depuis l'Indépendance en 1960 a eu lieu en novembre 2005, plus de 18 ans après le deuxième effectué en 1987. Depuis 17 ans, on attend toujours le quatrième recensement qui ne vient pas nous éclairer sur les besoins du pays. La dernière enquête de ménage (ECAM) date elle-même de 2015. Dans un tel contexte, il est difficile d'établir la planification. Il est à espérer que l'aboutissement du projet Sanaga (convention du 29 janvier 2015 entre le Cameroun et Eximbank-China de 400 milliards de francs CFA) viendra réduire considérablement le déficit en eau à Yaoundé. Mais, quid du reste du pays ?
- Des investissements privés grandement nécessaires. Le nouveau cadre juridique devrait favoriser la libre concurrence dans la production et la distribution de l'eau potable au Cameroun. L'État et les communes ne peuvent pas trouver tous les moyens nécessaires à l'investissement concomitant sur l'ensemble du territoire national. Il est nécessaire que les investisseurs privés soient intéressés en vue d'assurer la construction de nouvelles stations de traitement des eaux, le renouvellement des équipements, des conduites, des branchements existants en vue de sécuriser l'alimentation en eau potable.
- Le défaut d'entretien. Il n'est pas efficace d'assurer l'adduction d'eau sans programme d'entretien dont l'absence cause non seulement des problèmes de perte d'eau, mais aussi et surtout une situation sanitaire désastreuse. Le taux moyen de prévalence des maladies liées à l'eau et à l'assainissement est de 19 %. Pire, la connexion au réseau n'est pas synonyme de l'arrivée régulière de l'eau potable dans les foyers. Il convient dans les réformes de prévoir la création d'un programme civique de suivi, de promotion d'hygiène et d'éducation à la santé.
- Des équipements vétustes à l’origine de pertes substantielles d'eau en qualité et en quantité. En effet, beaucoup d'eau disparaît dans le circuit de distribution à cause des fuites. Le complexe de Japoma dans la capitale économique Douala date de 1954. Au complexe de Massoumbou mis en service dans les années 1980, seuls 65 000 m3 étaient produits par jour sur les 115 000 m3 quotidiens escomptés à cause d'une fréquence de pannes des machines de l'ordre de deux fois par mois. La pénurie d'eau au Cameroun est due à un déficit d'investissements lourds dans les infrastructures depuis les années 1960. Depuis la mise sous administration provisoire le 2 mai 2002 de la défunte SNEC, la société cherche à procéder à son redressement en vain. Elle cherche à rattraper 30 ans de mauvaise gouvernance dans la production et la distribution de l'eau camerounaise. Cela doit passer par la rationalisation des dépenses, la sécurisation des recettes et l'amélioration des mécanismes de transparence autour de la gestion des portefeuilles afin d'assurer le respect des cahiers des charges.
- Un manque de dynamisme dans l'action commerciale. En 2019, le Cameroun ne comptait qu'environ 450 000 abonnés dans 105 centres commerciaux. Ces chiffres ne changent pas beaucoup d'année en année, ce qui démontre un service commercial passif. Pire, le service après-vente n'est pas fonctionnel. On observe un manque de réactivité des interventions sur le terrain, engendrant des pertes énormes dans le circuit de distribution. Ces pertes s'accumulent aussi dans les impayés. Par exemple, au 30 juin 2022, l'entreprise réclamait 10,3 milliards de FCFA à l'État pour factures impayées. Il convient d'intensifier les campagnes de branchement des particuliers en vue d'augmenter le nombre d'abonnés et d'assurer la rationalisation de la distribution de l'eau selon un planning alternatif connu. Cela permettrait aussi de garantir un minimum d'approvisionnement à tous. Il convient surtout de renforcer le service après-vente afin de limiter les pertes d'eau au niveau des tuyaux défectueux du réseau. Il convient enfin de renforcer le service de recouvrement en vue d'amortir les problèmes de trésorerie de l'entreprise.
- Sur le plan de la gestion des ressources humaines, un personnel démotivé et non recyclé. Il n'y a plus de prime de productivité, les avancements et reclassements sont gelés. Cette situation regrettable conduit à des pertes en efficacité et à la montée de mouvements d'humeur gangrenant le fonctionnement de l'entreprise.
En conclusion, le problème de pénurie d'eau au Cameroun est structurel mais, soluble. Toutefois, la solution ne passe pas par un ultimatum de 8 jours qui est même insolite et risible.
Louis-Marie Kakdeu, Camer.be (Bruxelles) – AllAfrica
Douala : Des châteaux d'eau à l'abandon
Alain Njipou, Camer.be (Bruxelles) – AllAfrica
Le degré Zéro du management à la Camwater
L'Équation, Camer.be (Bruxelles) – AllAfrica
Yaoundé en manque d'eau potable
Radio France Internationale (RFI) – AllAfrica
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