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Tunisie
Douar Erroui : L'eau est en face de nous et on meurt de soif !

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
27/03/2020

À Erroui, Hammam-Bourguiba, dans la délégation de Aïn Draham (gouvernorat de Jendouba), 160 familles n'ont accès à l'eau que par intermittence depuis 2011. Dans cette région de la Kroumirie, considérée comme le château d'eau de la Tunisie avec une moyenne pluviométrique qui dépasse les 1 000 millimètres par an, les habitants dépendent d'un groupement de développement agricole (GDA) d'eau potable pour leur consommation. Seulement, ce GDA est aujourd'hui endetté de 2 900 dinars tunisiens, à cause d'importantes fuites d'eau sur le réseau, ce qui a amené la SONEDE à couper l'eau des quatre robinets du GDA d'Erroui depuis juin 2019, assoiffant ainsi ses habitants.

Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) avait participé le mois de janvier dernier à une manifestation organisée par les femmes d'Erroui, pour réclamer leur droit à une eau potable, garanti par l'article 44 de la constitution tunisienne. Les femmes, accompagnées d'enfants, ont marché depuis le village jusqu'au barrage Barbra à presque 3 kilomètres. Ce trajet est négligeable devant leur périple quotidien de 4 heures de marche pour s'approvisionner depuis Oued Saboun sur la frontière algérienne. De plus, cet oued, comme d'autres sources alentour, ne subit pas de contrôle d'hygiène de la part des services de la santé publique, ce qui n'est pas sans provoquer des maladies aux habitants dus à la non-propreté de l'eau qu'ils consomment. La marche vers le barrage était symbolique pour ces femmes privées d'eau ainsi que leurs familles. "C'est une injustice de vivre à côté d'un des plus grands barrages tunisiens en termes de capacité de stockage d'eau sans pour autant en être bénéficiaires. Pire encore, l'eau est acheminée vers les gouvernorats voisins du Nord et arrive jusqu'au Sud, tandis que nous, on meurt de soif." La colère des habitants est d'autant plus forte que le barrage Barbra est principalement destiné à fournir de l'eau potable, contrairement à d'autres barrages dont l'eau sert essentiellement à l'irrigation ou à fournir de l'énergie. À travers leur mobilisation, les femmes d'Erroui révèlent un problème malheureusement commun dans le nord-ouest du pays. Or, les autorités ne semblent pas avoir la volonté de remédier au paradoxe de la soif dans les régions les plus riches en ressources en eau du pays.

Le barrage Barbra fournit l'eau à une dizaine de GDA dans la région dont le GDA Erroui, et ce, à travers une station de pompage de la SONEDE sise à côté. Les réseaux gérés par les GDA sont mis en place par le Commissariat régional au développement agricole (CRDA). Le coût de l'entretien de ces réseaux revient aux GDA à travers les cotisations des adhérents et l'argent collecté par la vente de l'eau. Le GDA doit également payer sa facture de consommation d'électricité pour le pompage de l'eau. Chaque famille a le droit quotidiennement à 4 bidons d'eau de 20 litres, payé 25 millimes chacun. Si, d’après son président, le GDA Erroui est tout à fait capable de payer sa facture d'électricité s'élevant de 300 à 400 dinars par mois, ces dix dernières années, les paiements des consommations se sont faits rares. En effet, depuis sa mise en place, le réseau d'eau du douar présente d'importants défauts qui provoquent sans cesse des ruptures dans les canalisations, conduisant à une baisse du débit d'eau. La facture d'électricité grimpe ainsi considérablement et le GDA se trouve dans une situation d'endettement. Lors des contrôles du CRDA, la réparation ne se fait jamais convenablement et les problèmes persistent. Les habitants sont donc appelés à cotiser pour aider le GDA à payer sa facture et continuer à bénéficier de l'eau, alors qu'ils ne sont pas responsables des fuites occasionnées. Lorsque les dettes sont payées, l'eau coule à nouveau dans les robinets pendant quelques jours avant qu'elle ne soit de nouveau coupée. Ce cercle vicieux de fuites et réparations dure depuis 2011 et ce sont les habitants qui en sont victimes.

Les défaillances dans le réseau que ce soit entre le barrage et la station de pompage ou au niveau du GDA font qu'aujourd'hui plus de 100 familles sont privées d'eau. Cette situation a des répercussions sur la santé des habitants qui s'alimentent directement des sources et cours d'eau impropres et dont certains sont contaminés par les déchets de l'hôtel à proximité qui, comme de nombreuses structures hôtelières en Tunisie, ne respecte pas les normes environnementales dans la gestion de ses déchets. Lors de la marche organisée par les femmes du douar, celles-ci ont fait part de leurs revendications au délégué de la région : le raccordement des maisons au réseau de la SONEDE et la dissolution du groupement. Des jeunes ont pris la parole pour expliquer clairement au délégué que les familles ne sont plus disposées à cotiser pour payer les dettes du GDA. Ils exigent le retour immédiat de l'eau dans les robinets publics et le début des travaux pour le raccordement au réseau de la SONEDE. 

Ines Labiadh, département justice environnementale – FTDES
Article intégral dans La Presse (Tunis) – AllAfrica